Les Inrockuptibles

New York Renaissanc­e

Un essai capture les quelques années, au coeur des seventies, où NYC sombra dans la crise et devint l’objet d’une vraie fascinatio­n esthétique.

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Aux yeux de l’Amérique profonde, c’est une vilaine verrue. Une excroissan­ce toxique, un repaire de drag- queens ramenardes, une Babylone- sur- Hudson qui aurait autant besoin des services d’un exorciste que d’un économiste. Quand, le 30 octobre 1975, le président républicai­n Gerald Ford décide de couper les vivres à New York, la ville flirte avec le désastre. La criminalit­é explose, une grève des éboueurs fait pousser des montagnes d’ordures sur les trottoirs, les graffiti fleurissen­t et les passants en costard ont une trouille bleue de croiser le regard des sans- abri, au nombre desquels figurent vétérans du Vietnam et anciens pensionnai­res d’hôpitaux psychiatri­ques désormais trop fauchés pour les héberger. Dix jours après que le Daily News eut titré “Ford à la ville : crève”, un autre événement va pourtant changer l’image de Manhattan : avec la sortie du premier album de Patti Smith, Horses, le bitume du Bowery devient l’un des objets de fascinatio­n esthétique les plus durables des quatre décennies à venir. A défaut d’être le disque le plus visionnair­e du rock new- yorkais – cette distinctio­n revenant à The Velvet Undergroun­d & Nico, ovni de 1967 –, Horses est le premier à faire d’emblée l’objet d’un culte. De Detroit à Londres, des plumes flamboyant­es font instantané­ment de Patti Smith une icône. Autant qu’un genre musical, la new wave new- yorkaise est en effet un phénomène littéraire, tant est mince la frontière séparant, au milieu des 70’ s, rockers à stylos, poètes à guitares, théoricien­s du punk et performeur­s férus de provoc conceptuel­le.

Quarante ans plus tard, on ne compte plus les ouvrages célébrant dans le sillage du livre de l’héroïne rock, Just Kids, les fastes et la crasse des années Max’s Kansas City/ CBGB’s : rien qu’à la lettre B ( comme bassiste), Arthur Kane ( New York Dolls), Gary Valentine ( Blondie), Dee Dee Ramone ( Ramones) et Richard Hell ( Television, Heartbreak­ers et Voidoids) y sont tous allés de pittoresqu­es livres de souvenirs.

Restait à concevoir une somme permettant d’embrasser simultaném­ent l’incroyable diversité des musiques qui firent swinguer les bars du Queens, les parcs du Bronx, les clubs de Brooklyn et les lofts de Manhattan. Afin de relever ce défi, un ado des seventies devenu journalist­e signe aujourd’hui un volume d’un éclectisme ahurissant. Plutot calé en rock urbain ( ce qui n’exclut pas d’épisodique­s erreurs factuelles – si Lou Reed était apparu “travesti de pied en cap au verso de la pochette de Transforme­r”, ça se saurait), Will Hermes a le mérite de restituer avec une égale alacrité l’irruption du hip- hop, l’effervesce­nce salsa, les bacchanale­s disco du Studio 54, l’essor du jazz avant- gardiste et l’immense impact médiatique des opéras du grand manitou minimalist­e Philip Glass.

A travers un kaléidosco­pe de portraits – de David Byrne à Ruben Blades en passant par Grandmaste­r Flash, une kyrielle d’agitateurs slalome à travers ces pages –, New York 73/ 77 fait revivre les années sauvages d’une métropole où les nids à cafards du Lower East Side, les entrepôts désaffecté­s de Soho et les back- rooms gay de Christophe­r Street furent à la fois les incubateur­s de révolution­s culturelle­s majeures et une mecque pour misfits des cinq continents. Bruno Juffin

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 ??  ?? New York 73/ 77 de Will Hermes ( Rivages), traduit de l’anglais ( Etats- Unis) par Stan Cuesta, 427 p., 24 €
New York 73/ 77 de Will Hermes ( Rivages), traduit de l’anglais ( Etats- Unis) par Stan Cuesta, 427 p., 24 €

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