Peinture louche
Les tableaux siamois de Bernard Piffaretti : à regarder et re- regarder.
La règle du jeu que s’impose Bernard Piffaretti depuis plus de vingt- cinq ans est simple : peindre à droite d’une ligne préalablement tracée sur la toile ce qui vient d’être peint dans la moitié gauche. L’artiste s’applique alors à répéter les gestes, les couleurs, les formes le plus exactement possible sur le même tableau pour créer une oeuvre siamoise et donc un peu monstrueuse, disons aberrante, une oeuvre qui accouche d’elle- même, en tout cas de son double. Cependant, celui- là est nécessairement imparfait. Car ces coups de pinceaux ne sont pas des plus faciles à refaire : les couches de couleurs peuvent se superposer, les formes s’effilocher et la peinture dégouliner sans être retenue. Les différences sont perceptibles. Et c’est un plaisir que de zyeuter le tableau de gauche à droite et de droite à gauche pour les repérer, à tel point qu’on aura rarement été aussi captif d’une toile abstraite.
Mais il y a davantage qu’un jeu des sept erreurs. Le tableau en se dédoublant semble moins se retourner sur lui- même que se lancer à sa propre poursuite. Et on a l’impression que ça pourrait défiler, que le tableau amorce une bande passante, une pellicule qui déroulerait un long travelling. Au lieu de quoi Piffaretti esquisse, sous la forme de tondi ( des toiles circulaires), des tableaux en pointillé. Accolés par deux ou par trois, ils amorcent une composition binaire en la laissant vraiment lacunaire. Comme quand, dans un film, le son et l’image sont désynchronisés. Judicaël Lavrador Bernard Piffaretti : re- marquable jusqu’au 19 avril à la galerie Frank Elbaz, Paris IIIe, galeriefrankelbaz.com