Expos Meret Oppenheim et Nancy Cunard…
A Villeneuve- d’ascq et à Paris, des expositions rendent hommage à Meret Oppenheim et Nancy Cunard. Deux artistes subversives ( trop) longtemps cantonnées au rôle d’égéries du surréalisme.
Il est des images qui collent à la peau. Dans le cas de Meret Oppenheim ( 19131985) et de Nancy Cunard ( 1896- 1965), ces images sont signées Man Ray. Dans la première, datée de 1926, c’est la jeune Anglaise Nancy Cunard qui pose pour le photographe du surréalisme, guerrière imperturbable derrière son armure de bracelets en ivoire. Dans la seconde, l’artiste suisse Meret Oppenheim, alors âgée de 23 ans, offre à l’objectif son profil droit, avant une ultime retouche dessinée à la main : une boucle d’oreille, fleur carnivore qui lui rogne le visage. Auparavant, c’est son corps tout entier qu’elle laissa en pâture à la série Erotique voilée.
Ces deux clichés célèbres recouvrent pour partie des oeuvres extraordinaires, celles de deux artistes longtemps reléguées au rang de muses. Deux
en 1959, Meret Oppenheim produira l’un des premiers happenings
femmes qui ont en partage cet héritage encombrant ( de modèles fétichisés et de corps sans voix au sein du mâle groupe surréaliste) mais dont le travail prendra vite des directions bien distinctes.
D’un côté Meret Oppenheim, biberonnée à la psychanalyse jungienne, qui décrypte très tôt ses rêves et en fait matière à production ( objets, dessins, peintures et poèmes). “Petite sorcière du surréalisme” pour Max Ernst, avec qui elle aura une relation passionnée en 1934, Meret Oppenheim connaît la gloire immédiate avec son chef- d’oeuvre Le Déjeuner en fourrure, acquis dès l’année de sa production par le MoMA de New York. Soit un ensemble tasse, soucoupe et cuillère entièrement recouvert d’une fourrure de gazelle de Chine. Un objet à forte charge érotique qui inaugure chez Oppenheim une réflexion sur les liens entre animalité et quotidien : gants nervurés, collier en os, table aux pieds d’oiseau, bracelet en fourrure, métamorphose du mythe de Daphné et Apollon sous la forme de tubercules, etc.
En 1959, elle produira l’un des premiers happenings : Le Festin, qu’elle organise sur le corps nu d’une jeune femme allongée, avec langoustes, viande crue, ceinture de champignons et coulis de framboises. “Ce n’était pas la femme comme objet de désir pour les hommes”, précise à l’époque Meret Oppenheim, qui insiste sur le fait qu’autour de la “table” se trouvaient trois couples. “C’était plutôt un festin de printemps, je dirais même un rituel printanier de la fécondité.”
L’autre grande ligne de traverse de l’oeuvre d’Oppenheim, explorée dans la rétrospective que lui consacre le LaM, c’est sa fascination pour le maquillage et le travestissement, qui lui permet de retourner comme un gant son rôle de muse fétichisée. Toute sa vie, elle se présentera grimée, radiographiée, tatouée, pour des mises en scène privées et photographiées ou des fêtes costumées. Ses objets eux- mêmes sont
soumis à des opérations de travestissement et l’on compte de nombreux masques parmi ses sculptures et dessins : masque papillon, de cire ou masque jaune qui rappelle le pouvoir subversif du carnaval. Eprouver sa propre altérité, voilà le credo de celle qui défendait, dans la lignée des théories jungiennes,
“l’androgynie de l’esprit”.
Née fortunée, Nancy Cunard fut elle aussi une figure de référence pour les surréalistes et les dadaïstes. Mais elle aussi se fraya rapidement un chemin dans la jungle des années 30. Le déclic est sa rencontre avec le musicien afro- américain Henry Crowder, pour lequel elle quitte Aragon. En 1928, elle fonde une maison d’édition, Hours Press, qui publie Ezra Pound, Beckett et les programmes de
L’Age d’or de Buñuel. Surtout, c’est là que Nancy Cunard découvre la question noire et entreprend ce qui restera l’oeuvre de sa vie : une vaste Negro Anthology, “afin que soient gravées quelque part les luttes et les réalisations des Nègres, les persécutions subies et les révoltes nées
de retour”. Soit 855 pages articulées à la manière d’une enquête documentaire qui rend hommage autant à l’art nègre qu’aux grandes voix du militantisme noir des années 20.
C’est principalement cet ouvrage, paru en 1934, qui se trouve désossé dans la petite mais solide exposition du Quai Branly. Tout commence en 1931, en plein scandale des Scottsboro Boys, l’histoire de neuf adolescents afro- américains condamnés à mort après avoir été accusés d’avoir violé deux femmes blanches dans un train traversant l’Alabama. Meret Oppenheim. Rétrospective jusqu’au 1er juin au LaM, Villeneuve- d’Ascq, musee- lam. fr “L’Atlantique Noir” – Nancy Cunard, Negro Anthology
( 1931- 1934) jusqu’au 18 mai au musée du Quai Branly, Paris VIIe, quaibranly. fr