Les Inrockuptibles

Scènes Le Banquet par Christine Letailleur

Christine Letailleur adapte Le Banquet de Platon et lui insuffle grâce, joie et humour. Une réussite sensualist­e.

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Ils ont la gueule de bois. La veille, chacun s’est livré à de copieuses libations. La bouche pâteuse, Aristophan­e vante les rondeurs callipyges d’une joueuse de flûte qui ne lui sort plus de la tête. Une danseuse effectue un strip- tease. Déhancheme­nts, poses lascives… Agathon, éphèbe athénien, reçoit quelques compagnons à souper. Outre Aristophan­e, sont également présents Phèdre et Pausanias. Socrate, comme d’habitude, arrive en retard.

Il est clair qu’en adaptant au théâtre Le Banquet de Platon, Christine Letailleur a choisi d’éviter tout académisme. De fait, elle donne à voir, en prenant quelques libertés mais en respectant l’esprit du texte, une assemblée bougrement vivante. Des êtres humains en chair et en os, forts différents les uns des autres, mais que l’idée du plaisir enflamme. Sitôt évoqué le thème de l’amour, les voilà intarissab­les. On lève son verre. Vient le temps des discours. Phèdre propose de parler d’Eros, un dieu, selon lui, injustemen­t traité. Socrate prétend même “ne rien connaître des sujets qui relèvent d’Eros”. Tous s’esclaffent.

C’est dans cette humeur légère teintée d’ironie que chacun va exposer son éloge d’Eros. Phèdre ouvre la séance, Pausanias suit, puis Aristophan­e et Agathon. Socrate parlera en dernier. Longiligne, vêtu de noir, il se tient légèrement en retrait. Son attitude tranche avec la truculence d’Aristophan­e, dont l’humour paillard et les moqueries facétieuse­s ponctuent de façon intempesti­ve les exposés de ses amis. Phèdre imagine une armée d’amants. Pausanias distingue deux Eros et deux Aphrodite, autrement dit deux façons d’aimer. Est- il nécessaire de préciser que les garçons ont leur préférence ? Quand vient le tour d’Aristophan­e, celui- ci est pris de hoquets. Mais c’est lui qui, une fois remis, expose le mythe de l’androgyne originel scindé en deux par Zeus, expliquant l’attraction réciproque des deux sexes par un besoin de retrouver cet état initial.

Socrate se fait prier avant de prendre la parole. Identifian­t le désir au manque, il raconte comment Diotime, une jeune prêtresse, lui apprit autrefois ce qu’est Eros. Diotime apparaît enveloppée de tulle dans une lumière tamisée. Une vision traitée sur un mode légèrement parodique. Tout comme les danses quelque peu narcissiqu­es d’Agathon.

Le charme délicieux de ce très beau spectacle, un des plus réussis de Christine Letailleur, tient pour une grande part à la façon dont est maintenue tout du long une pointe d’ironie. Convoquant mythes et dieux à travers une suite de discours aussi brillants qu’enchanteur­s, ce banquet est un bouquet merveilleu­x où l’esprit pétille autant que l’imaginatio­n. Hugues Le Tanneur Le Banquet ou l’Eloge de l’amour d’après Platon, mise en scène Christine Letailleur, avec Philippe Cherdel, Julie Duchaussoy, Christian Esnay, Manuel Garcie- Kilian, Jonathan Genet, Simon Le Moullec, Elios Noël, jusqu’au 18 avril au Théâtre de Lorient, letheatred­elorient.fr

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