Les Inrockuptibles

Musiques Eels, Liz Green…

Sombre dedans, lumineux dehors. Eels revient du rock et des excès avec un album épanoui et accueillan­t. Mais qu’on se rassure : Mark Oliver Everett est toujours aussi dingo.

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Dans sa biographie Tais- toi ou meurs1, un very bad trip en marche arrière dans une vie qui ne lui a fait aucun cadeau – si ce n’est celui de la musique –, Mark Oliver Everett écrit : “La vie est parfois pleine de beauté imprévisib­le et de surprises étranges. Je me sens parfois démuni devant tant de beauté (…) C’est peut- être ça qui m’a d’abord amené à la musique. C’était magique. Je pouvais transcende­r le merdier qui m’entourait, et même en faire quelque chose de positif, juste en le mettant en musique.”

Quand on lui demande si ce livre, douloureux souvent, l’a aidé, le Californie­n répond : “Je pensais juste, comme avec mes chansons, que mon travail pourrait aider quelqu’un, quelque part…” Et il ne parle pas seulement de lui. Il explique ainsi comment sa batterie (“le premier truc qui m’a permis de briller en public, à 11 ans”), certains disques de Lou Reed ou de Neil Young, quelques livres de Salinger ou de Kurt Vonnegut ou une ribambelle de films – notamment Edward aux mains d’argent de Tim Burton – l’ont lui- même aidé à trouver une place, même exiguë, dans le monde. “Gamin, je me fichais d’aller dans l’espace ou d’inventer un vaccin. Je voulais juste sortir un album.”

Et des albums, Mark Oliver Everett – cheveux jaunes ou barbe de bagnard, dandy louche ou clochard céleste – en a sorti une bonne dizaine en vingt ans, sous le nom de Eels. Ses idées noires, ses observatio­ns obliques sur sa vie et ses proches, il les a, longtemps avant son livre, consignées dans des chansons soupe- au- lait : difficile de prévoir la tonalité d’un album de Eels tant chacun semblait une réaction au précédent, ou au temps, ou à l’époque, ou à une énième désillusio­n sentimenta­le. “Chaque étape m’autorise à avancer, à boucler un dossier. Le livre m’a permis de ranger mon passé, chaque disque me débarrasse aussi la tête… L’idée, c’est à chaque fois de fausser compagnie à la mélancolie.”

“gamin, je me fichais d’aller dans l’espace ou d’inventer un vaccin. Je voulais juste sortir un album”

Mark Oliver Everett

Mark Oliver Everett est effectivem­ent un homme qui se débat, tente de voyager léger, même si entravé de mille bagages. “Je n’ai jamais perdu de temps à imaginer mon futur, je pensais que je serais mort à 18 ans. Je me suis trouvé con à 18 ans. Il a fallu improviser. Je n’ai aucun centre d’intérêt ou de qualificat­ion, hormis la musique.” Lors de notre rencontre, en réponse évasive à des questions personnell­es, de nombreux anges passent – et ils ont des gueules de démons. Le chanteur se révèle finalement à la hauteur de son disque : bougon et chaleureux, accueillan­t et flippant. Mais cette fois, il n’a plus de groupe ou de jeu de rôle derrière lequel se cacher : pour la première fois, son vrai nom apparaît sur la pochette – ce n’est plus E ou Eels. “Je ne me suis jamais senti aussi mal dans ma peau, quelle connerie d’utiliser mon vrai nom ! Mais comme j’ai choisi l’honnêteté sur cet album, je n’avais pas le choix. Ce titre, ça veut dire : ‘ Regardez dans quelle merde je suis !’ Ma musique, c’est mon moyen d’affronter le chaos.”

Dans cet éternel jeu du placement de la caméra – un coup orientée vers l’extérieur, le suivant sur l’intérieur –,

The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett se situe clairement du côté bénéfician­t du plus vaste cadre, du plus vertigineu­x champ : l’intérieur. Un disque introspect­if, où l’ambiance est déguisée, maladroite­ment et ironiqueme­nt, en sérénité. Car de loin, sans entrer dans la noirceur des détails, c’est l’un des albums les plus hospitalie­rs, rassurants, de l’Américain. Un mélange de volupté et de brutalité, de luxuriance et d’épure, qui fait merveille sur Kindred

Spirit, Where I’m At ou Lockdown Hurricane.

“Mon album le plus compliqué à écrire, à arranger, à enregistre­r, le plus méticuleux, le plus planifié, j’en suis sorti lessivé, paumé, hébété”, décrit le Californie­n, qui espère juste, une fois encore, ne pas trop déconcerte­r son public, parfois perdu

par ses revirement­s. “Je connais des gens qui vont voir John Taylor chaque année : ils savent exactement ce qu’ils vont entendre, qu’ils peuvent compter sur lui. Moi je suis le contraire de ça : je veux être violenté. C’est comme ça depuis mon premier concert, ma soeur m’y avait embarqué à 16 ans : c’était Neil Young, je n’étais pas préparé à ce choc… J’aime suivre cette voie : on me booke dans un festival très rock et je déboule avec un orchestre symphoniqu­e. Ou je suis invité dans un festival de poésie et on joue punk.” On lui demande à quoi ressembler­ont les concerts liés au nouvel album. “Je suis en train d’y réfléchir. Tout est possible. On ne peut vraiment pas compter sur moi.”

JD Beauvallet

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concerts le 9 juillet au Montreux Jazz Festival, le 10 à Paris ( festival Days Off), le 11 à Toulouse eelstheban­d. com
album The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett ( E Works/ Pias- Coop) concerts le 9 juillet au Montreux Jazz Festival, le 10 à Paris ( festival Days Off), le 11 à Toulouse eelstheban­d. com

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