Le cercle des passions
Pour le deuxième épisode de sa tétralogie conçue pour une scène à 360°, Robert Lepage mixe avec bonheur le passé et le présent, l’amour et le sociétal.
Qu’il s’agisse des salles à l’italienne ou de celles revisitées par les scénographes du XXe siècle, le théâtre persiste depuis toujours à nous offrir une vision frontale des objets artistiques. Ainsi, on se réjouit de la révolution orchestrée par quatorze directeurs de salles conçues sur un plan circulaire. Réparties dans neuf pays d’Europe, plus une au Canada, elles fédèrent leurs moyens pour inventer un répertoire théâtral spécifiquement conçu pour être vu sous tous les angles. Via l’initiative du Réseau 360°, les spectateurs vont enfin être confrontés à un théâtre qui affirme la singularité du regard de chacun dans la démultiplication des points de vue dispersés sur toute la circonférence des gradins. Créateur d’images et inventeur de formes sans égal, le metteur en scène québécois Robert Lepage est l’aventurier des plateaux idéal pour défricher ce nouveau territoire.
Pour taper le carton, les joueurs se réunissent autour d’une table. L’évidence de la situation est à l’origine du choix de Lepage d’engager sa réflexion en jouant de la jolie métaphore d’un feuilleton théâtral déclinant les quatre couleurs d’un jeu de cartes. Après Pique, qui nous entraînait d’un casino de Las Vegas à un champ de bataille en Irak, voici donc Coeur, qui tire prétexte d’une rencontre amoureuse entre Chaffik, un Maghrébin chauffeur de taxi à Québec, et Judith, une prof de cinéma de l’université, pour nous proposer un voyage dans l’espace et le temps, du Canada contemporain à l’Algérie de la colonisation française.
Dans la magie d’une scénographie réussissant la prouesse de réunir les loges, les coulisses et les décors dans l’espace d’un plateau circulaire grand comme la piste d’un cirque, Lepage s’affranchit de toutes les contraintes pour laisser libre cours à sa fiction. Convoquant le cinéma de Méliès et les tours du magicien RobertHoudin tout autant que les débats d’aujourd’hui et la quête des racines des Québécois issus de l’immigration, le spectacle, aussi poétique que politique, confirme avec brio l’intuition selon laquelle le théâtre en rond a un bel avenir devant lui. Patrick Sourd Jeux de cartes 2 – Coeur conception et mise en scène Robert Lepage, avec Louis Fortier, Benjamin Grant, Reda Guerinik, Catherine Hugues, Kathryn Hunter, Marcello Magni, Olivier Normand, les 16 et 17 avril à Châlons-enChampagne (La ComèteScène nationale), la-comete.fr