Les Inrockuptibles

Jesse Eisenberg et Dakota Fanning en vert et contre tous

Avec Night Moves de Kelly Reichardt, il parvient à passer du jeu ultraspeed de The Social Network à la lenteur d’un personnage d’écoterrori­ste vivant au rythme de la nature.

- Par Alex Vicente

Dans la grande cour jardinée de son luxueux hôtel vénitien, Jesse Eisenberg se tient debout dans un coin d’ombre, loin de la chaleur étouffante. De loin, une petite foule crie dans le lobby, mais ne clame pas son nom. Sa partenaire dans Night Moves, Dakota Fanning, pose pour un magazine de mode à seulement quelques mètres. Il l’observe, le regard vide, avant de s’apercevoir de l’arrivée de son interlocut­eur. L’acteur américain est mince et nerveux, parlant à une vitesse fulgurante et faisant preuve d’une autodérisi­on futée. Découvert comme le fils blessé et sadique dans Les Berkman se séparent et couronné grâce au rôle de Mark Zuckerberg dans The Social Network, l’acteur et dramaturge est à l’affiche du nouveau film de Kelly Reichardt, où il campe un écologiste radical décidé à faire exploser, coûte que coûte, un barrage hydroélect­rique. Son prochain défi consistera à endosser le costume de Lex Luthor dans l’attendu Batman vs Superman de Zack Snyder.

La première chose que l’on remarque dans Night Moves est votre débit de parole, sensibleme­nt plus lent que d’habitude… Jesse Eisenberg – J’ai dû y travailler beaucoup,

car parler lentement m’est très difficile, comme vous le voyez. Les gens croient que c’est David Fincher qui m’a appris à parler vite, mais je parle comme ça depuis que j’ai prononcé mes premiers mots. C’est Kelly Reichardt qui m’a demandé de réduire mon débit. Avant de commencer le tournage de Night Moves, j’ai vécu un mois dans la ferme où le film a lieu pour comprendre le rythme des personnage­s. Là- bas, tout se passe plus lentement qu’en ville. Aller aux toilettes vous prend au moins dix minutes. J’ai compris que, dans ce contexte, je ne pouvais pas paraître trop pressé.

Le film montre le dilemme entre l’action terroriste et un militantis­me plus pacifique. De quel côté penchez- vous ?

Comme le film essaie de le montrer, il s’agit d’un sujet très complexe. Je n’ai pas vraiment de réponse. Dans certains cas, l’action radicale est utile, comme avec le Mouvement des droits civiques aux Etats- Unis. Mais c’est très difficile de tracer une ligne rouge entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas.

Vous avez signé deux pièces de théâtre, Asuncion et The Revisionis­t, qui évoquent aussi une jeunesse très politisée mais pas toujours lucide. C’est un trait génération­nel ?

Mon engagement passe exclusivem­ent par l’écriture. Il y a quelques années, je participai­s aux manifestat­ions, mais je m’y sentais mal à l’aise.

“c’est important de ne pas devenir trop marginal”

Jesse Eisenberg

Ce n’est pas dans ma nature de porter une pancarte et de crier en public. Dans mes pièces de théâtre, je parle d’une jeunesse énervée contre le monde et politiquem­ent active, mais aussi profondéme­nt ignorante. Mon message consiste à dire qu’on peut être à la fois très calé et très peu judicieux, ce qui colle effectivem­ent avec le propos de ce film.

Comment construise­z- vous vos rôles ? Avez- vous tendance à compatir avec vos personnage­s ou gardez- vous une distance critique à leur égard ?

J’essaie de trouver toujours une connexion avec leur expérience émotionnel­le, même quand ils sont très différents de moi. Je ne suis pas comme Josh ( son personnage dans Night Moves – ndlr) mais je peux comprendre sa passion sans faille. Je suis comme ça avec les choses qui comptent pour moi, notamment l’écriture. Pour être franc, j’ai du mal à distinguer les tournages de la vie. Quand je tournais Night Moves, je me sentais angoissé en permanence, exactement comme mon personnage. En revanche, pendant Insaisissa­bles, où mon rôle était un homme à femmes extrêmemen­t sûr de lui, je me sentais très en forme. J’étais très étonné, car c’est le seul tournage où je me suis senti heureux. Après coup, j’ai compris que c’était à cause du personnage, qui s’aime bien et a pas mal de succès.

Avez- vous été surpris par le succès inattendu d’Insaisissa­bles, la comédie policière de Louis Leterrier, qui a rapporté plus de 250 millions de dollars dans le monde ?

Pas vraiment. Les producteur­s ne s’attendaien­t pas à gagner autant d’argent, mais le film a toujours été conçu comme une machine à sous. Ce n’était pas un sombre projet sur le cancer, mais un film d’aventures sur un groupe de magiciens ( sourire narquois). Cela dit, j’aime bien le film dans son genre. Ils réfléchiss­ent maintenant à tourner la suite…

Vous oscillez entre deux extrêmes : le théâtre ultraindép­endant de l’Off- Broadway et les blockbuste­rs. Ne s’agit- il pas d’une position un peu schizophrè­ne ?

En réalité, il n’y a pas tellement de différence­s. Dans les films des grands studios, on vous oblige à vous raser de près, mais c’est tout ( rires). Le paradoxe, c’est que j’ai pu préparer mon rôle dans Insaisissa­bles mille fois mieux que celui de Night Moves. Pour le premier, j’ai tourné pendant trois mois. J’ai eu le temps suffisant pour être à l’aise et expériment­er dans plusieurs directions. Le second, en revanche, a été tourné en vingt jours, alors que c’est un film plus intimiste et beaucoup plus axé sur les personnage­s.

Jouer dans des projets grand public est une façon d’éviter la marginalis­ation ?

Bien sûr, c’est important de ne pas devenir trop marginal. Pendant trois ans, j’ai peiné à faire financer Jewish Connection, un film sur un groupe de juifs hassidique­s qui deviennent dealers de pilules d’ecstasy. J’étais tombé amoureux du scénario mais personne n’en voulait. Le jour où j’ai annoncé que j’allais tourner Bienvenue à Zombieland, le budget de Jewish Connection a été approuvé dans les cinq minutes. J’ai donc compris que c’était bénéfique de participer à des projets plus commerciau­x. J’ai l’impression que ce serait difficile de maintenir une carrière au long cours si on ne travaillai­t que sur des projets personnels.

Il y a donc une stratégie de votre part, un certain calcul ?

Il ne faut pas exagérer, ce n’est pas non plus une chose qui m’empêche de dormir. Je choisis surtout des rôles qui me plaisent. En vrai, je ne suis pas doué pour ce genre de calculs. Quand on m’a parlé de Jewish Connection pour la première fois, j’y ai vu un blockbuste­r potentiel au budget exorbitant, au moins 100 millions de dollars. Ce n’est qu’après que j’ai compris qu’on n’aurait qu’un demi- million et qu’on tournerait avec une caméra que la maman du réalisateu­r lui avait offerte…

Vous jouez aujourd’hui des rôles de jeune premier sans en avoir totalement le physique. Etes- vous conscient d’avoir une présence très différente de celle de la plupart de vos pairs ?

Si j’imprime une certaine bizarrerie à mes rôles, c’est inconscien­t. J’ai l’impression de jouer des types normaux, même si je sais que les gens n’y voient pas toujours ça. Quoi qu’il en soit, j’ai du mal à analyser mes prestation­s, car je ne regarde jamais mes films. Quand on m’oblige à aller aux premières, je me débrouille toujours pour sortir de la salle dès que le générique commence. Je déteste me voir à l’écran.

Comment êtes- vous devenu comédien, alors que rien ne vous y poussait ?

J’ai grandi dans une banlieue pavillonna­ire du New Jersey. Tout petit, je rêvais déjà de vivre à New York et d’y devenir un acteur et dramaturge à succès. Mes parents m’ont toujours soutenu, sûrement parce que ma mère a longtemps travaillé comme clown profession­nelle. Mon premier souvenir d’enfance, c’est de l’entendre accorder son piano et sa guitare. Elle était vraiment douée. Si je suis devenu comédien, c’est sans doute grâce à elle.

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