Les Inrockuptibles

Pixies l’album inespéré

Groupe mythique s’il en est, les Pixies n’avaient pas fait d’album depuis plus de vingt ans. A l’occasion de la sortie d’indie Cindy, rencontre à Houston pendant leur récente tournée américaine et avant quelques dates européenne­s.

- Par Maxime de Abreu

Dans le Bayou Music Center de Houston, au Texas, les réactions sont plutôt calmes face aux nouvelles chansons des Pixies. Ni l’évidence tubesque de Magdalena, ni la gouaille roublarde de Bagboy, ni la tendresse infinie d’Andro Queen, pas même la nervosité gueularde de Blue Eyed Hexe ne secoueront un public pourtant prompt à pogoter joyeusemen­t sur les vieux tubes adorés. C’était au mois de février et les fans ne semblaient pas réaliser que les Pixies étaient de retour pour de vrai, depuis quelques semaines, avec deux nouveaux ep annonciate­urs d’un album complet à venir – le premier depuis 1991. Il faut dire que pendant le concert, les Pixies font la part belle au répertoire passé. Sans aucune setlist sous les yeux ( ils improvisen­t en suivant les directives de Frank Black), le groupe jouera une trentaine de morceaux ce soir- là, balayant tranquille­ment une discograph­ie relevant aujourd’hui du mythe : on y entendra Isla de Encanta, Caribou ( tirés de Come

on Pilgrim), Bone Machine, River Euphrates ( de Surfer

Rosa), Mr Grieves, Hey, La La Love You ( de Doolittle),

Ana ( de Bossanova), Planet of Sound, U- Mass,

The Sad Punk ( de Trompe le monde)… Après le concert, on retrouve le groupe dans les loges. Il y a du champagne et des fruits dans le frigo, mais l’ambiance est plutôt à la pizza et à la bière. Frank Black enfile ses lunettes pour signer quelques T- shirts. Joey Santiago branche son téléphone à de petites enceintes, puis passe quelques tubes funk en se marrant. David Lovering, lui, fait le malin avec des tours de magie – sans blague, c’est un pro. Et puis, sur le canapé, discrète mais rieuse, il y a Paz Lenchantin. Celle- ci les accompagne pendant leur tournée aux Etats- Unis, qui touche alors à sa fin. Contrairem­ent à ce qu’on a pu croire ces derniers mois, elle n’a pas remplacé Kim Deal au sein du groupe, pas plus que Kim Shattuck avant elle. Toutes deux ont eu cette mission : jouer de la basse sur scène et fournir une voix féminine à certains morceaux qui, sans leurs allers- retours vers les aigus, perdraient inévitable­ment de leur sens.

Sans doute Kim Deal est- elle irremplaça­ble, mais son départ juste avant l’enregistre­ment du nouvel album ne semble pas avoir bouleversé la raison d’être de ce dernier. Quelques heures avant la scène, on discute avec un Frank Black concentré, un peu rude par moments : “L’album aurait sûrement été différent avec Kim. Déjà, il y aurait eu sa voix dessus. Certains choix n’auraient sans doute pas été les mêmes. Mais je ne regrette rien. C’est ainsi que les choses se sont passées et puis voilà.” On le comprendra rapidement : inutile d’insister sur le sujet… “Je ne saisis pas bien ce genre de questions. Je ne suis pas bon avec les hypothèses, et tout ce qui n’est pas concret. Imaginer l’avenir du groupe sans Kim Deal, ou son éventuel retour, ou encore ce que je serais devenu sans les Pixies, c’est comme essayer d’imaginer à quoi ressembler­ait ma vie si j’avais été un cheval. Je ne vais pas inventer des scénarios pour le bien de ton article. Je ne suis pas romancier. Je suis incapable d’inventer des histoires. Quand je me mets à réfléchir, je ne vois que des gens en train de baiser.”

Frank Black a une façon bien à lui d’envisager une interview. Il semble mettre un point d’honneur à ne pas répondre directemen­t aux questions, et quand il y en a une qui ne lui plaît pas, il ne se prive pas de vous le faire comprendre. Mais il conserve cette malice dans le regard, cette bienveilla­nce taquine. On devine une intelligen­ce profonde derrière ses petites lunettes sans style, et une générosité sincère, qui ne s’embarrasse pas des règles de politesse. Parfois, au lieu de parler, il fait des schémas avec les objets autour, ou bien il dessine ( en utilisant nos pages de questions). Ses idées sont comme les chansons qu’il écrit : elles partent dans tous les sens, changent d’aspect en une seconde, ne se ressemblen­t pas les unes les autres. Malgré les années, le leader des Pixies a su préserver cette liberté dans la pensée, ce je- m’en- foutisme absolu qu’on pourrait voir comme l’essence même du rock.

Le rock, les Pixies l’ont bouleversé à la croisée

des années 80 et 90. Ils ont fait la jonction entre le post- punk et le grunge en digérant l’héritage de la surf music, de la new- wave, du hard- rock, redirigean­t ainsi l’usage massif des guitares vers l’horizon désormais atteint de la suprématie pop. Visionnair­es, les Pixies ? Vingt- cinq ans sont passés depuis leur premier album ; certains fans de la première heure ont oublié l’excitation de leur jeunesse, désormais ils s’en foutent ; ceux de la deuxième ont révisé leurs classiques, et sont tenus par le respect ; pour les plus jeunes, c’est compliqué : comment dépasser la mythologie qui s’est installé sur cette époque, comment aimer les Pixies de façon éclairée, comment s’intéresser vraiment à ce nouvel album que plus personne n’attendait de toute façon ?

Pour le réaliser, le groupe a fait appel à ses collaborat­eurs historique­s, Gil Norton ( à la production) et Vaughn Oliver ( au graphisme). Et c’est comme si de rien n’était, après onze ans de rupture, puis la reformatio­n en 2004 – pour la scène uniquement, loin des studios d’enregistre­ment. Comme si l’histoire des Pixies continuait de s’écrire sans que le temps et la nostalgie n’aient pris le pas sur une époque perdue, et sur une oeuvre qu’on voyait déjà bouclée, prête à être livrée au musée fantasmé du rock. Les membres du groupe ne semblent pas se poser

ce genre de questions. David Lovering : “Retravaill­er avec Gil et Vaughn était une sorte d’évidence. La formule a toujours fonctionné pour les précédents albums. Malgré les années, on n’avait aucune raison de ne pas continuer. Tout est revenu naturellem­ent. Parfois je suis content qu’on se soit séparés : sans ça, la reformatio­n en 2004 n’aurait jamais eu lieu, et on n’aurait pas connu toutes ces choses aujourd’hui.” Joey Santiago : “Gil nous connaît bien. Il a été une sorte de psy pour nous. Il sait nous calmer. N’importe quel autre producteur se serait enfui en courant ! Les choses n’ont pas trop changé. C’est toujours le même groupe, les mêmes dynamiques… Les Pixies m’ont évidemment manqué pendant tout ce temps. On gagnait de l’argent, on s’amusait, on voyageait… Tout ça s’est arrêté du jour au lendemain ! On était de jeunes trous du cul…”

Houston n’est pas une ville très sexy. Le centre, où les buildings s’entassent en rivalisant de propreté clinique, se traverse à pied en un quart d’heure ; le reste est un enchaîneme­nt tentaculai­re de quartiers résidentie­ls, où les maisons se suivent sans cohérence architectu­rale, sans richesse ni charme particulie­r. L’identité du lieu ne tient qu’à cette grisaille postindust­rielle, à cette impression d’être dans le désert malgré le gigantisme urbain. Quand on demande à Frank Black ce qu’il pense de Houston et du Texas, il se contente de hausser les épaules en souriant finement.

“Je ne suis pas à Houston. Là, je suis dans un hôtel.

“imaginer l’avenir du groupe sans Kim Deal ou ce que je serais devenu sans les Pixies, c’est comme essayer d’imaginer à quoi ressembler­ait ma vie si j’avais été un cheval” Frank Black

Ce soir, je serai dans une salle de concerts. Parfois, pendant quelques secondes, j’oublie dans quelle ville je me trouve : je sais juste que je suis quelque part sur Terre.”

Et si les Pixies étaient justement devenus un de ces groupes hors du monde et du temps, capables de produire du sens quoi qu’ils fassent ? Le morceautit­re de l’album – peut- être le meilleur en ce qu’il sait marier la lourdeur et la finesse, la violence et la tendresse ( l’identité du groupe s’est bâtie sur ce genre de subtilités) – raconte des nuits gâchées, une fille aimée et quelques trucs complèteme­nt hallucinés. La chanson s’appelle donc Indie Cindy. Pourquoi ce titre ? “Et pourquoi pas ? Ça rime, ça sonne bien.” OK, Frank.

album Indie Cindy ( Pias). Sortie le 28 avril. concerts le 30 mai à Primavera Sound, le 2 juillet aux Nuits de Fourvière, le 4 aux Eurockéenn­es de Belfort et le 6 à Beauregard pixiesmusi­c. com

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