La Parisienne : un mythe éditorial
Phénomène éditorial dans le monde entier, les guides pour devenir une “femme française” pullulent. Enquête sur un marché de dupes.
les guides pour devenir une “femme française” pullulent. Enquête
Le French bashing a le vent en poupe ? Il paraît… Pourtant, plus que jamais, les librairies américaines croulent sous les livres qui clament détenir le secret de la vie douce “à la française”. Cibles privilégiées, les femmes qui, apparemment, rêvent toutes de s’approprier ce charme nonchalant, cet hédonisme jouisseur, cette moue et ce style inimitable qui seraient autant de signatures de la “Frenchwoman” ( un concept en soi). La femme française, peut- être un raccourci pour désigner la femme rêvée ? “Ce que les Américains appellent ‘ La Française’, ou plus précisément ‘ La Parisienne’, est en fait une projection de ce qu’ils fantasment comme étant la femme idéale”, analyse Caroline de Maigret. Et elle sait de quoi elle parle. Directrice d’un label, ex- mannequin devenue muse, égérie, “it- girl”, cette beauté aux longs cheveux défaits et à la dégaine parfaitement relâchée incarne à l’étranger l’archétype de cette femme libre, belle et intelligente, mince, mère, amante et working girl. Tout cela à la fois ? Et plus encore. A en croire la littérature sur le sujet, toujours plus fournie, les Françaises sont immunisées contre le surpoids ( French Women Don’t Get Fat), le vieillissement ( French Women Don’t Get Facelifts) et la solitude ( French Women Don’t Sleep Alone: Pleasurable Secrets to Finding Love). Elles savent s’habiller ( Lessons from Madame Chic: 20 Stylish Secrets I Learned While Living in Paris), ont confiance en elles ( Ooh La La! French Women’s Secrets to Feeling Beautiful Every Day), kiffent la vie comme elle vient ( Joie de vivre: Secrets of Wining, Dining, and Romancing Like the French). Elles savent même faire des bébés et les élever mieux que les autres ( French Children Don’t Throw Food, How to Dress Like a Cool French Mom).
Et quand elles se piquent de chasteté, à l’image de Sophie Fontanel dont le roman L’Envie a paru en anglais l’été dernier sous le titre The Art of Sleeping Alone, elles parviennent carrément à “transformer la décision de faire une croix sur le sexe en un geste élégant qui transpire le pragmatisme et exhale un voile de fumée”, comme s’en amusait James Wolcott en juillet 2013 dans les colonnes de Vanity Fair. Il y a donc un marché, c’est certain ; les Français( e) s font vendre en librairie. Le best- seller d’Inès de la Fressange, La Parisienne, s’est écoulé à 200 000 exemplaires en France et plus de 300 000 dans le reste du monde sous le titre Parisian Chic, et même le Savoir maigrir du nutritionniste Jean- Michel Cohen s’est vendu comme des petits pains outre- Atlantique, une fois rebaptisé The Parisian Diet.
“l’ idée est de ressembler à quelqu’un qui a autre chose à faire que se préparer, quelque chose de plus intellectuel”
Caroline de Maigret
Pris en main par Susanna Lea, agent littéraire anglaise relocalisée à Paris, le dernier projet en date est un succès avant même sa parution : How to Be
Parisian Wherever You Are a été écrit à huit mains par quatre Parisiennes pur jus. Caroline de Maigret, donc, l’écrivaine Anne Berest, la journaliste Audrey Diwan et la productrice de cinéma Sophie Mas, ont convaincu Susanna Lea du potentiel de leur livre à la seconde où
elles sont entrées dans son bureau : “Je n’ai jamais cru aux livres sur les secrets des Françaises, commente Lea. Je vis en France depuis des années, et je le vois bien : elles grossissent comme tout le monde, et leurs enfants peuvent être insupportables. Mais quand j’ai rencontré ces quatre- là, alors là oui, c’était réel. Quand j’ai présenté le projet du livre à la foire de Londres, les enchères sont immédiatement montées entre six éditeurs américains. Depuis, nous avons vendu les droits en Australie, en Angleterre, en Italie, en Pologne, au Japon, à Taiwan…” Un buzz à la hauteur de l’engouement pour ce type de littérature.
Même si la majorité de ces livres sont écrits par des
Américaines installées à Paris, rien ne vaut la parole des principales concernées. C’est ce qui a sans doute fait le succès du parrain du genre : publié en 2004, vendu à plus de deux millions d’exemplaires, traduit en près de quarante langues et suivi par une foule de déclinaisons en livres de cuisine et autres conseils pratiques, French Women Don’t Get Fat est signé Mireille Guiliano, une Française installée aux Etats- Unis.
C’est pourtant une Américaine, et pas des moindres, qui semble avoir lancé la tendance, il y a près de cent ans : en 1919, Edith Wharton publiait French Ways
and Their Meaning, une compilation d’observations et impressions sur ce “French way of life” si mystérieusement attirant. Bien sûr, comme tout “genre”, celui- ci a ses codes et ses usages : les auteurs anglo- saxonnes abusent d’expressions typiques, en français dans le texte, se citent entre elles et mettent en avant leur expérience sur le terrain ( qui a un mari made in France, qui a étudié à la Sorbonne…).
Comme le souligne Harriet Welty Rochefort, auteur de plusieurs livres sur le sujet, “ce qui est très américain, c’est d’essayer de comprendre le secret de la Française. Ce qui est très français, c’est d’affirmer qu’on ne peut pas copier cette attitude juste en appliquant
à la lettre un ensemble de règles”. La force des Françaises elles- mêmes sur ce marché juteux ? Elles maîtrisent leur sujet. Mieux, elles “sont” leur sujet. Caroline de Maigret résume ainsi le secret du look apparemment nonchalant des Parisiennes : “L’idée est de ressembler à quelqu’un qui a autre chose à faire que se préparer, quelque chose de plus intellectuel.” Avant d’ajouter : “Bien sûr, les Françaises passent autant de temps devant leur miroir, mais le but est que ça se voie le moins possible.” Casser le cliché de Catherine Deneuve dans Belle
de jour et de la femme Saint Laurent des années 70 pour dresser un portrait plus vibrant et moderne, telle est également la mission du livre auquel elle a participé. Et à lire Entre nous: A Woman’s Guide to Finding Her Inner
French Girl, sorti en 2003, juste avant la déferlante qui marqua le renouveau du genre, et qui regorge de grandes bourgeoises du Trocadéro qui reçoivent à dîner en servant des toasts au caviar, on se dit qu’il y a effectivement du boulot. L’auteur, Debra Ollivier, n’hésite d’ailleurs pas à citer Jeanne d’Arc, la Pompadour ou Marie- Antoinette au rang des “French women we like”. Mi- surannée, mi- Ancien Régime, l’image de la femme française avait en effet bien besoin d’un petit ripolinage. Tout un programme qui ouvre des perspectives infinies pour les éditeurs. Prochaine en lice : la blogueuse Garance Doré, installée à New York, planche sur un livre qui paraîtra dans les prochains mois chez Spiegel & Grau, une division de Random House, l’un des plus grands éditeurs américains.