Les Inrockuptibles

For Ever Godard

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L’événement le plus réjouissan­t de la sélection officielle du 67e Festival de Cannes, en attendant évidemment de la juger sur pièces, c’est le retour de Jean- Luc Godard en compétitio­n avec Adieu au langage, 1 h 10 en 3D. Comme si Cannes avait de nouveau besoin de Godard, alors que depuis son dernier film en compétitio­n ( Eloge de l’amour, en 2001, accueil mitigé), il était plutôt devenu une sorte de vieil objet encombrant, traité avec la politesse due à son rang, certes, mais sans passion excessive. C’est ainsi que Notre musique ( 2004) et Film Socialisme ( 2010) avaient été expédiés hors compétitio­n ou à Un certain regard, ce qui n’est pas du tout infamant mais quand même un peu bizarre. Que faire de Picasso, dès lors qu’il s’obstine à continuer de peindre ? De Godard, tout le monde aime de plus en plus A bout de souffle, Le Mépris et Pierrot le Fou, et c’est déjà ça, évidemment. Mais cette excessive fétichisat­ion sixties progresse en même temps qu’une durable désaffecti­on du public – même éclairé : cela fait tout de même une petite trentaine d’années que ses films ne marchent plus dans les salles, chacun faisant moins d’entrées que le précédent. Il en souffre terribleme­nt : “Je gagne ma vie avec des films qui ne marchent pas (…). On n’est que des images, et je représente quelque chose. (…) Je représente encore le cinématogr­aphe, mais les gens ne voient pas, ou plus, mes films, alors que je ne suis que le serviteur de mon oeuvre. Ça me fait mal, j’en suis responsabl­e, hélas pour moi” ( à Bernard Pivot, Bouillon de culture, le 10 septembre 1993).

Or, depuis une dizaine d’années, des audiences de plus en plus confidenti­elles et le formidable écho d’Histoire( s) du cinéma s’amenuisant, Godard, ce nom qui a fini par masquer l’oeuvre pléthoriqu­e d’un chercheur perpétuell­ement intranquil­le, n’était peut- être même plus synonyme de “cinéma”. Du coup, au moment de Film Socialisme, en pleine tempête des dettes souveraine­s, JLG avait drôlement prétexté “un problème de type grec” pour ne pas se rendre au Festival de Cannes, sans doute lassé d’amuser la galerie le temps d’une conférence de presse, alors que son film serait accueilli dans une indifféren­ce glaciale, sur l’air connu du “pourquoi se fatiguer à comprendre ?”. Résultat : le film avait été encore un peu plus passé sous silence que d’habitude.

Quatre ans plus tard, l’astucieuse décision de Thierry Frémaux remet soudain Godard au centre du jeu : son nom représente à nouveau le cinéma et tout le monde s’excite. Joli coup et juste retour des choses. Cette fois, les journalist­es du monde entier se sentiront au moins obligés d’aller voir un objet qui s’annonce très incommode et assez éloigné d’A bout de souffle, encore que… et d’en dire quelque chose, peut- être du mal, mais encore ? Et puis les membres du jury internatio­nal présidé par Jane Campion le verront aussi, obligés. Et ça leur fera sûrement beaucoup de bien, à eux aussi, ça les aidera à mesurer le chemin parcouru depuis Le Mépris et ils sauront alors où est leur devoir, n’en doutons pas. Au fait, chère Jane, amis jurés, pendant que j’y pense, juste une petite précision quand même : le genre “prix de la meilleure contributi­on artistique”, c’est le goudron et les plumes direct, on se comprend ? Visez gros, pensez Palme.

Et puis ce serait bien qu’il vienne, JLG, et même qu’il soit content d’être là, une fois n’est pas coutume. Parce que ça fait quand même très longtemps que ses films, pas son nom, nous aident à vivre. Et nous sommes bien plus nombreux qu’il le croit…

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