Les Inrockuptibles

La vie aquatique

Un designer coréen a imaginé un appareil capable d’extraire l’oxygène présent dans l’eau. Des branchies artificiel­les qui nous permettrai­ent de plonger pour de bon.

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Comme un humain dans l’eau” sera la nouvelle maxime. Dans Le Grand Bleu, Jacques Mayol ( Jean- Marc Barr) et Enzo Molinari ( Jean Reno) tentent désespérém­ent de trinquer avec leur coupe de champagne au fond d’une piscine. Mais tout champions d’apnée soient- ils, vient toujours le moment où la surface et l’asphyxie les rappellent. Jeabyun Yeon, un designer coréen, a proposé au début de l’année une solution pour rester bien au fond : le Triton.

Figurez- vous un tuba à deux branches. Chacune est en fait une branchie, un ingénieux système qui récupère l’oxygène contenu dans l’eau – c’est l’O de H2O. Ce n’est pour l’instant qu’un projet, une idée. Il faudra attendre un peu, quelques dizaines d’années sans doute. Mais une fois fonctionne­l, bien calé entre nos dents comme le couteau du pirate, le Triton nous permettra de respirer sous l’eau sans le fardeau des bouteilles de plongée, lourdes et de faible autonomie.

D’abord un peu méfiants, nous n’utiliseron­s l’appareil que pour admirer les poissons en bordure de plage ou pour méditer dans notre baignoire. Quand nous serons rassurés, nous plongerons pour plusieurs semaines. Les chevilles lestées, nous partirons pour de grandes balades sous- marines, de Brest à New York, à pied. Pas de statue de la Liberté à l’horizon pour ces pionniers- là, on ne sortira la tête de l’eau qu’à Manhattan. Les ponts ne seront plus que d’agréables ornements décoratifs dont on aura oublié la fonction.

Devenu bien utile, le Triton s’améliorera, se miniaturis­era encore, nous sera implanté dès la naissance. La vie aquatique perdra de son mystère, on passera de la terre à l’eau sans même y réfléchir. Bien acclimatée­s – on aura pris l’habitude de monter notre tente au fond de l’océan –, quelques communauté­s d’illuminés constituer­ont des colonies subaquatiq­ues. Les tour- opérateurs proposeron­t des séjours clés en main avec vue exclusive sur la mer, où que l’on regarde. La montée des eaux aidant, le reste suivra.

Villes et villages se bâtiront. Alors, bien sûr, il faudra trouver des solutions à des problèmes terre

à terre : que faire de nos cirés et de nos parapluies, par exemple ? Mais quel calme ! Et quelle lenteur. Tous nos mouvements ralentiron­t. La gifle sera moins douloureus­e, entre autres avantages. On prendra enfin son temps. Les langoustes seront à portée de la main, on attrapera un oursin comme on cueille une pomme.

A force de vivre là- dessous, selon les préceptes de la théorie de l’évolution, les mutations génétiques privilégie­ront les membres de l’espèce aux pieds palmés et à la peau lisse. Quelques millions d’années encore et il deviendra compliqué de différenci­er un humain d’un batracien. Alors, cet homme- grenouille, un peu par hasard, un jour, posera ses pattes sur un rocher émergé, rampera un peu sur le sol puis se relèvera d’un bond, se réfugiera dans une grotte, se couvrira d’une peau de bête pour se protéger du froid, cultivera des champs, bâtira sa maison, réapprendr­a à nager, et ainsi de suite. Nicolas Carreau illustrati­on Lionel Serre pour Les Inrockupti­bles

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