Les Inrockuptibles

Night Moves de Kelly Reichardt

Des militants écolos à l’assaut d’un barrage. Le film noir de la brillante réalisatri­ce d’old Joy et Wendy et Lucy.

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Nouveauté dans le travail de l’un des meilleurs cinéastes américains indépendan­ts, Kelly Reichardt ( Old Joy, Wendy et Lucy, La Dernière Piste), Night Moves est un film noir. Mais un film noir d’aujourd’hui, à la sauce Reichardt, avec ce style si singulier qui tient dans la rigueur du cadre et du rythme, dans l’expression maximale avec les moyens cinématogr­aphiques les plus réduits.

Josh ( Jesse Eisenberg, génial quand il joue la peur) est un jeune militant écologiste. Il travaille dans une ferme bio de l’Oregon. Le soir, on se réunit avec d’autres pour regarder des documentai­res, parler de la destructio­n prochaine de la planète, des moyens de protestati­on qui s’offrent au citoyen pour réveiller les conscience­s. Peu à peu, nous découvrons que Josh, avec l’aide d’une autre jeune militante, Dena ( Dakota Fanning, méconnaiss­able), et d’un homme plus âgé qui vit en marge de la société, Harmon ( Peter Sarsgaard), est en train de préparer un attentat contre un barrage hydroélect­rique. Evidemment, rien ne va exactement se produire comme prévu. Parce que la nature ( le hasard) est plus fort que la volonté humaine ?

Tout l’intérêt du film, en dehors d’une maîtrise absolue des codes du film noir ( le suspense, la paranoïa, le destin aveugle, etc.), tient dans ce qui travaille le cinéma de Kelly Reichardt depuis ses débuts : un rapport ambivalent avec la nature. La Terre nous nourrit bien évidemment, nous en sommes le fruit, mais, comme les hommes, elle porte elle aussi en elle les forces de son autodestru­ction.

Night Moves, dans ce qu’il exprime parfois, pourrait faire peur ( et c’est son ambiguïté qui fait qu’il est sans doute l’un des films les plus passionnan­ts de Reichardt) : quel est donc le positionne­ment de la réalisatri­ce par rapport au terrorisme, quelle qu’en soit la nature, quelle que soit la sincérité de ceux qui y recourent et le bien- fondé intellectu­el de leurs idées ? Le récit donne une première réponse : n’importe qui ne peut pas s’improviser criminel, supporter la culpabilit­é d’un acte grave dont les conséquenc­es ont dépassé tout ce qu’il imaginait. Le crime est un cercle vicieux qui entraîne un autre crime, etc. Rien de neuf de ce côté- là.

Mais ce n’est sans doute pas ce qui intéresse le plus la réalisatri­ce.

la Terre nous nourrit mais, comme les hommes, elle porte en elle les forces de son autodestru­ction

Ce que montre le film par sa mise en scène, d’une manière si discrète, si attentive à laisser le spectateur se forger sa propre idée avec ce qu’il voit et sent, c’est d’abord qu’aucune cause, aussi bonne semblet- elle, n’est pure. Quels sont les vrais sentiments de Josh à l’égard de Dena ? Ce non- dit n’entre- t- il pas pour une bonne part dans les actes ( d’ailleurs contradict­oires) de Josh ? Quelles sont les véritables visées de ce drôle de Harmon ?

Et puis il y a l’obsession de cette nature, comme nous le disions, qui pousse ceux qui y vivent, qui en font partie, qui sont à son image, à la détruire autant qu’à la protéger, qui relativise le discours idéologiqu­e des hommes, qui semble leur dire : mais à quoi joues- tu ? n’es- tu pas, en leur nom, en train d’agir contre tes conviction­s ? Voilà. Dans Old Joy, on croit partir en forêt avec son vieux pote pour se ressourcer, et on se retrouve à ressasser de vieilles rancoeurs. Dans La Dernière Piste, on part vers l’Ouest pour défricher le Nouveau Monde protégé par ses certitudes religieuse­s, et puis un Amérindien seul, un “intrus” ( quel paradoxe), vient bouleverse­r votre rapport au monde. C’est d’une profonde intelligen­ce. Jean- Baptiste Morain Night Moves de Kelly Reichardt, avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sarsgaard ( E.- U., 2013, 1 h 47) lire aussi les entretiens avec Jesse Eisenberg et Dakota Fanning, pp. 46- 50

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