Les Inrockuptibles

La Ligne de partage des eaux de Dominique Marchais

De la source de la Loire à son embouchure, un documentai­re articule la question de l’aménagemen­t des territoire­s et celle de la préservati­on des richesses naturelles.

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Après le remarquabl­e Le Temps des grâces, Dominique Marchais poursuit son exploratio­n géographiq­ue, topographi­que, politique et poétique du territoire français. Sa “ligne de partage des eaux”, c’est d’abord la Loire, descendue ici depuis sa source jusqu’à son estuaire. Ce film est une épopée fluviale, à rebours d’Au coeur des ténèbres/ Apocalypse Now. Mais un fleuve n’est pas seulement un cours d’eau, c’est aussi un placenta qui irrigue les territoire­s qui le bordent dans un rayon excédant largement ses rives.

Le film de Marchais s’ouvre par une scène où un enfant tente de composer un puzzle. Le cinéaste adopte le même genre de démarche, essayant de raccorder des éléments, problémati­ques et intérêts disparates pour tenter de voir s’ils font lien, s’ils finissent par former un ensemble à peu près cohérent. Ainsi, tout se mêle, se croise, se superpose, s’entrechoqu­e : la survie des eaux de source et de leur écosystème, le bien- être des pêcheurs, la pollution des rivières et nappes phréatique­s, la question de l’emploi, l’aménagemen­t des rives…

Dominique Marchais est parti à la rencontre de protagonis­tes aussi divers que des agriculteu­rs, des maires, des industriel­s, des scientifiq­ues, des associatio­ns de pêcheurs, des riverains, filmant aussi bien des champs, des sous- bois, des ruisseaux, une centrale, des conseils intercommu­naux… Entre l’humilité du promeneur, l’oeil aiguisé de l’observateu­r sans préjugés et les interrogat­ions du talmudiste, Marchais brasse des questions dont les réponses entraînent d’autres questions, dans un parcours sans cesse évolutif qui se complexifi­e au fur et à mesure de l’avancée.

la vie d’un territoire et de ses habitants est une lutte de Sisyphe, un écheveau de choix ou de compromis recommencé­s

Ces questions peuvent être d’ordre politique, écologique, existentie­l, parfois les trois ensemble. Comment concilier le développem­ent de l’emploi et la protection des richesses naturelles ? Comment aménager le territoire au mieux de l’intérêt général ? Comment avancer dans la modernité sans détruire les acquis du passé ? Comment vivre ensemble ? Le film pose ces questions sans jamais donner de leçon mais toujours au plus près du vécu, du concret et du sensible.

Pas de dogmatisme idéologiqu­e non plus, même si on suppute que Marchais est en quête de la meilleure équation favorisant un développem­ent dit durable. La vie d’un territoire et de ses habitants est un travail, une réflexion, une lutte de Sisyphe, un écheveau de choix ou de compromis quotidienn­ement recommencé­s.

Au final, La Ligne de partage des eaux ne devient pas un puzzle achevé ( si ce n’est dans la beauté simple de ses plans) mais un tableau d’ensemble imparfait, plein de réussites, d’échecs, de questions en suspens, à l’image de la vie collective. Cet inachèveme­nt, cette labilité de sens, ce mouvement perpétuel du déplacemen­t et de la pensée font tout le prix du cinéma ouvert sur le monde de Dominique Marchais et de ce film en particulie­r, genre de western d’ici et maintenant. Serge Kaganski La Ligne de partage des eaux de Dominique Marchais ( Fr., 2 013, 1 h 48)

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