Les Inrockuptibles

L’enquête intérieure

Toujours aussi prolixe, Lewis Trondheim signe avec Stéphane Oiry un étonnant polar existentie­l et mélancoliq­ue.

- Anne- Claire Norot

Peu d’auteurs occupent le terrain avec autant de savoir- faire et de constance que Lewis Trondheim. Depuis le début 2014 ont paru les deux derniers tomes de Donjon Crépuscule, dont il a coécrit les scénarios, le délirant Kräkændrag­gon avec Mathieu Sapin, le tome 2 de sa revue Papier, le tome 6 de Ralph Azham et l’excellent strip L’Atelier mastodonte, toutes les semaines dans Spirou. Voici maintenant Maggy Garrisson, sa contributi­on au polar réalisée avec Stéphane Oiry au dessin.

Solitaire, un peu larguée, la jeune Anglaise Maggy Garrisson vient de trouver son premier job : elle sera l’assistante d’un détective privé. Elle se rend immédiatem­ent compte que le boulot sera miteux et le patron peu fiable – il est d’ailleurs vite envoyé à l’hôpital par des petits malfrats. Maggy prend le relais et se retrouve à courir après de mystérieux tickets du Pier de Brighton convoités par beaucoup de monde.

A contre- courant des thrillers au rythme effréné et aux scénarios caricatura­ux, peuplés de gangsters machiavéli­ques et violents et de filles vénéneuses, Maggy Garrisson est bien plus atmosphéri­que et existentie­l qu’haletant. Lewis Trondheim et Stéphane Oiry prennent le temps de poser le décor et de créer une ambiance douce- amère, dans de belles planches au trait réaliste qui révèlent un Londres triste et humide, avec ses pubs rustiques et ses maisons ternes. Ils s’attachent plus à la personnali­té de leur héroïne qu’à l’intrigue – une histoire de monnaie parallèle dont on n’apprend finalement pas grand- chose.

En s’amusant à revisiter les clichés du privé à la Chandler,

du détective alcoolique en mal d’enquête qui tombe sur une affaire qui le dépasse, ils livrent une véritable étude de caractère. Habitué des héros à la coule, un peu losers mais opiniâtres, Lewis Trondheim dépeint une jeune femme touchante, qui partage toutes ces caractéris­tiques. Avec son franc- parler et ses reparties acérées – une autre grande spécialité de Trondheim –, Maggy Garrisson, dont on suit les pensées acerbes en voix off comme dans tout bon roman noir, n’est jamais à court de ressources pour se procurer un peu d’argent. Mais elle est aussi désespérém­ent seule et en quête d’amis. Un polar mélancoliq­ue et loin des sentiers battus. Maggy Garrisson t. 1 – Fais un sourire, Maggy ( Dupuis), 48 pages, 14,50 €

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