L’arche de Zoé
Voix familière de France Inter, Zoé Varier s’attache à explorer les grands textes dans L’heure des rêveurs.
Dexigence éditoriale, qualité millimétrée du montage et une voix unique, acidulée, douce et rieuse
ans l’annexe de la Maison de la Radio, où est provisoirement installée – depuis dix ans – France Inter, au cinquième étage, bureau 513, se trouve un atelier fort singulier. Ici, on ne vitupère pas, on ne ricane pas, on ne tartarine pas. On brode, on cisèle, on enlumine. Pour réaliser chaque semaine un des bijoux de la radio publique, L’Heure des rêveurs.
Aux manettes, Zoé Varier, l’une des figures les plus discrètes de France Inter depuis plus de vingt ans. Avec le soutien précieux de ses monteuses ( Audrey Ripoull, Martine Abat) et de sa réalisatrice ( Michelle Soulier), elle emmène les auditeurs à la rencontre de personnages, de lieux et de récits, célèbres ou méconnus, qu’elle rend fascinants. Cette alchimie tient notamment à trois éléments : l’exigence éditoriale, la qualité millimétrée du montage et sa voix unique, acidulée, douce et rieuse.
Longtemps, Zoé Varier s’est attachée à donner la parole aux anonymes, à nous entraîner dans des zones sensibles, politiques ou intimes. Pays en guerre ou chagrins d’amour, elle nous confrontait à nos fardeaux et à nos failles. Cette année, sa traversée des ondes passe par les textes. De L’Epopée de Gilgamesh à Flaubert, de L’Odyssée à Lewis Carroll. “C’est un vrai défi, une prise de risque passionnante, qui me fait aussi beaucoup douter, confie la productrice. J’ai dû changer ma façon d’écrire et de poser ma voix pour me rendre plus proche des auditeurs, pour être dans un style moins littéraire, plus parlé, afin de les amener plus facilement à ces superbes textes.”
Chaque sujet est abordé en deux ou trois émissions.
Si l’on ne décroche jamais, c’est que Zoé Varier utilise la botte secrète des producteurs : le casting. “Faire parler un spécialiste, c’est très risqué. Il faut que cette personne ait une voix de radio, qu’elle soit entraînante, que l’on comprenne ce qu’elle dit et que l’on soit tous deux en confiance. Je les rencontre, je discute avec eux, parfois pendant des heures, et il m’arrive de leur dire que ça ne se fera pas. Tout cela demande une énergie et un temps incroyables.” Sans parler des milliers de pages avalées.
Dans son bureau, les livres s’empilent en une anarchie joyeuse : contes pour enfants, dictionnaires, manuels d’histoire de la Mésopotamie… Ce sont les auteurs russes qui ont servi de détonateur involontaire à la vocation de cette passionnée de lecture depuis toujours. “Très jeune, cette littérature m’a renvoyée aux sentiments puissants qui m’animaient, que je ne trouvais pas chez les auteurs français. Je me suis mise à apprendre le russe au lycée.” Un choix qui ne jurait pas trop avec le tableau familial, où la couleur dominante tendait vers le rouge révolution, et où la Russie avait encore un parfum d’éden. Direction la fac de langues pour y devenir interprète. Ce qu’elle fut, à bord de paquebots de croisière soviétiques.
En 1992, elle rejoint l’équipe de Daniel Mermet et se rend très vite indispensable à l’émission Là- bas si j’y suis. Elle y apprend le métier avant de prendre son envol, en 2000, avec Ecoutez... des anges passent. Suivront Nous autres et L’Heure des rêveurs. Un titre inspiré par Gaston Bachelard pour qui “la rêverie nous met en état d’âme naissante”.
Zoé Varier sait aussi pimenter cette heure de fantaisie. Entre les épopées mythologiques et les auteurs classiques, elle s’offre des escapades en compagnie de la créature de Frankenstein, Fifi Brindacier ou Calamity Jane, qui l’inspirent certains jours quand elle se désole d’une tendance de nos sociétés “à tout aseptiser et tout formater”. Martin Brésis