Le combat des chefs
Beuve- Méry et de Gaulle : l’opposition impitoyable entre deux grandes voix irréconciliables, chacune porteuse d’une certaine idée de la France.
Il n’y a pas de plus fort et cruel duel qu’entre deux orgueilleux, surtout lorsqu’il se déploie autour de l’art de gouverner un pays. Entre le fondateur du Monde, Hubert Beuve- Méry, et le chef de la France libre, devenu président de la République, Charles de Gaulle, la rivalité fut celle de deux grands esprits habités par le même souci du destin de la France, par le même goût de la langue classique, mais qui ne s’entendaient pourtant sur rien, trop attachés à l’idée qu’ils se faisaient l’un et l’autre de leurs missions, irréconciliables. La mésentente dépassait le cadre naturel du journaliste critique dénonçant l’action d’un politique : elle prit la forme d’une lutte quasi théâtrale entre deux “voix” discordantes, fermées à toute possibilité d’une harmonie intellectuelle raisonnée. Comme le rappellent judicieusement Joseph Beauregard et Laurent Greilsamer, le journaliste persifleur ne cessa, dans ses célèbres éditos signés Sirius, de critiquer le chef politique, à travers des papiers que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de “désintox”.
pour ne pas reprocher au général le goût immodéré qu’il en avait, depuis son célèbre discours de Bayeux en juin 1946, jusqu’au référendum de 1962 et son appel direct au peuple. Profondément attaché aux pratiques de la démocratie parlementaire que de Gaulle pourfendait, Beuve- Méry avait surtout, grâce à sa prose taillée dans le fiel, le talent de rendre fou de rage le général, qui lui répondait par son ironie blessante. Attesté par certains témoins de ce jeu de massacre, comme Yvonne Baby, ancienne rédactrice en chef du service culture du Monde, le duel anima la vie politico- médiatique française durant deux décennies, jusqu’à leur éclipse quasi concomitante, à la fin des années 60. Orchestré à partir d’entretiens avec des historiens mais aussi d’images animées évoquant les conversations entre les deux adversaires, le film restitue les traces d’un combat de gentlemen qui, au fleuret moucheté, préféraient l’acide, sulfureux. Jean- Marie Durand
Beuve- Méry détestait trop l’exercice solitaire du pouvoir et l’hypertrophie du moi
Duels : Beuve- Méry – de Gaulle, Le Monde contre le Président documentaire de Joseph Beauregard et Laurent Greilsamer, jeudi 24, 21 h 35, France 5