Panic room
La cinéaste Ericka Beckman, qui fut proche de Mike Kelley, piège ses personnages dans des films aux formes, aux couleurs et à la bande-son de jeu vidéo. Du cinéma d’apprentissage old school.
Tous les films projetés dans cette exposition grenobloise d’Ericka Beckman, ou presque tous, ont, près d’eux, un accessoire qui a comme réussi à s’extirper de leur fiction. Or, la façade d’une petite maison de poupée, un cheval à bascule, un chaudron en bois peint viennent préciser un paradoxe : ces films relèvent de procédés de fabrication très artisanaux, d’une matière (cinématographique) et de matériaux très palpables, alors même qu’ils intègrent des effets spéciaux, des grilles géométriques, des incrustations qui semblent ancrer ces images dans le virtuel.
De fait, ce clash entre le monde en dur et le monde des illusions constitue la trame de la plupart des films d’Ericka Beckman, Américaine née en 1951, qui fit ses armes au California Institute of the Arts avec Mike Kelley, Tony Oursler ou Guy de Cointet. Un personnage court contre la montre et les préjugés ( Cinderella, avec une bande-son new-wave et des décors façon L’Ile aux enfants) ou, dans Super 8 Trilogy, après les jouets de son enfance, engloutis dans un coffre sans fond – comme sa mémoire et sa maison, d’un vide sidéral – sans qu’aucun des protagonistes ne réussisse à se saisir de rien.
L’univers du jeu, qu’il s’agisse des jeux vidéo mais aussi des sports d’équipe, est un cadre récurrent : les personnages apprennent les gestes, les règles qui leur permettent d’évoluer dans un environnement hostile, parce que friable et inconsistant, où ils font figure d’êtres candides et désemparés. Ce monde mouvant est fondamentalement celui des images en mouvement telles que les fabrique, en bidouillant la pellicule ou par le biais du stop motion, Ericka Beckman – pour qui, dit-on, Jean-Luc Godard ne tarit pas d’éloges un jour de projection au Festival du film de New York.
C’est l’autre leçon qu’on tire de la présence de ces objets extirpés des films, chus ici-bas dans la pénombre des salles d’expo du Magasin. Si eux s’en sont échappés, c’est que tous les autres, les personnages, mais aussi les spectateurs, n’ont toujours pas trouvé le moyen d’en sortir. Essaie encore. Et encore. Judicaël Lavrador Ericka Beckman Works, 1978-2013 jusqu’au 4 mai au Magasin, Grenoble, www.magasin-cnac.org, www.erickabeckman.com