Les Inrockuptibles

Chasser la peur grâce aux inRocKs

La semaine dernière, les angoisses de Deneuve chez Salvadori, des tattoos en mutation, l’ivresse d’Ozu, des univers en carton et de l’amour, comme toujours.

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JTu deviens cui- cui, cul- cul, con- con. Tu t’élèves, tu laisses ton armure en bas pour mieux voler, et quand tu es bien haut, bien léger et bien désarmé, l’aigle te bouffe le foie, tu tombes, et à la fin de l’interminab­le chute, tu t’écrases, moitié mort, moitié boiteux, mais content tout de même d’être revenu à toi, d’avoir enfin compris que ces envols étaient des illusions, que “tout était faux dans cet univers de carton”, et que rien ne valait la solitude, la liberté et les grands espaces que constitue le vide.

“Que feras- tu de ta peur ?”, interroge la critique consacrée au livre d’Isaac Rosa. C’est la question.

La peur, “censée nous protéger” du danger devient le pire des dangers quand elle conduit à “l’isolement, (…) la paranoïa”. Plus d’ivresse, on risquerait la gueule de bois, plus d’amour, ça finit mal en général, plus de bonheur : on a trop peur qu’il se sauve. On s’enterre vivant pour que la vie ne nous abîme pas trop.

“Que feras- tu de ta peur ?” Je lui botterai le cul, à cette conne. Je choisis l’ivresse, comme Yasujiro Ozu qui “buvait pour écrire cent bouteilles de saké par scénario”. Je serai amoureux comme lui était ivrogne, un amoureux “qui se tient, qui ne bouge pas trop pour ne pas tomber, dans une attitude d’extrême concentrat­ion sur les choses et les gestes les plus ordinaires. Tenir le coup, tenir l’alcool”, tenir l’amour. “C’est la morale d’Ozu”, et ce sera la mienne. Amoureux titubant, attentif, tenu, conscient de la fragilité de son équilibre, faisant de l’existence “cet enchaîneme­nt harmonieux de raisonneme­nts et d’élans, (…) de chocs terribles et d’apaisement­s impercepti­bles”.

“Il y a une espèce de mutation.” Comme le personnage de Catherine Deneuve dans le film de Pierre Salvadori, “j’ai compris que j’avais fait du monde un murmure. J’ai compris que malgré mes angoisses et mes peurs, il me fallait tout faire pour revenir aux autres”. C’est maintenant, peut- être. A nous deux, chérie ! Alexandre Gamelin e sais : rien ne dure, avec le temps va tout s’en va, une hirondelle ne fait pas le printemps, c’est bon, ça va, je sais. N’empêche. Le jour se lève, elle est dans mon lit, et pour la première fois depuis tant de premiers matins, je n’ai envie ni de la jeter dehors, ni de me jeter par la fenêtre, ni d’inventer une arrivée imminente des enfants pour couper court à l’horrible moment. La prendre dans mes bras, plutôt, rire, l’emmener en vacances, lui faire vingt gosses, trouver que finalement ça déchire, le tofu, aller au marché en Vélib’, et surtout ne rien lui dire de tout ça maintenant : ça pourrait tout faire foirer… Merde.

Ne replonge pas, surtout ne replonge pas. Le premier élan amoureux, c’est comme le premier verre de l’alcoolique en rehab ou le premier tatouage, le début d’une “addiction : une fois que t’as ouvert la porte, tu es désinhibé, je ne saurais pas dire si c’est pathologiq­ue, mais il y a une espèce de mutation”.

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