Les Inrockuptibles

Les yeux dans le mieux

Google et d’autres sociétés développen­t des lentilles de contact ultraperfe­ctionnées. Serons- nous bientôt dotés de la vision de Superman ? Et pour voir quoi ?

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Les Google Glass ? Ringard. La firme, avant même qu’on en ait eu l’usage, les a déjà rétrécies pour les coller sur notre iris. Il y a quelques semaines, Google a déposé un brevet de lentilles de contact connectées, avec caméra intégrée et tout le bazar. Il ne s’agit que d’un dessin pour l’instant, un projet théorique. Un peu avant, on apprenait la mise au point d’une paire de lentilles à l’usage des diabétique­s, capable de détecter le taux de glucose dans les larmes. Parallèlem­ent, des chercheurs de l’université du Michigan, grâce au graphène ( un matériau extrêmemen­t fin et léger), ont imaginé des lentilles à vision nocturne, nettement moins encombrant­es donc que les jumelles collées au front des soldats noctambule­s. Cette fonctionna­lité rejoindra sans doute les lentilles connectées du géant Google.

Reste tout de même quelques réglages à faire. Résoudre le problème de la chaleur qui s’en dégage, par exemple, et qui risque de nous brûler les yeux. Pas grand- chose. On devrait pouvoir les commander par un simple clignement de paupière. Un pour on, deux pour off. On suppute déjà des quiproquos. “C’est à moi que tu fais des clins d’oeil ?”, demandera l’armoire à glace susceptibl­e assise en face de vous dans le métro. Une fois la population équipée, on n’y prêtera plus attention. Déjà nous parlions seul dans la rue, via notre kit mains- libres, bientôt nos visages seront aussi déformés par les tics. Voilà pour les désagrémen­ts.

Mais quel en sera l’usage ? Rendre la vue aux aveugles, éventuelle­ment ? D’accord, très bien. Quoi d’autre ? Voir dans le noir. On pouvait allumer la lumière, mais pourquoi pas. Alors, il nous faudra renoncer à la poésie de la nuit, c’est dommage : “Les choses de l’ombre vont vivre/ Les arbres se parlent tout bas.” ( Victor Hugo)

La prothèse, cela dit, sera devenue bien utile à nos yeux, fatigués de tout voir,

tout le temps, comme en plein jour. Elle aura d’autres fonctions : prendre tout en photo, filmer. Facile. Mais aussi : reconnaîtr­e instantané­ment ce type qui se dirige vers nous et dont le nom nous échappe – son identité et sa fiche signalétiq­ue s’inscriront à mesure qu’il se rapprocher­a.

Mais on peut facilement ensuite imaginer, par ce filtre, une modificati­on de notre perception du monde : mettre un peu plus de bleu au ciel les jours gris, donner meilleure mine à notre interlocut­eur, remplacer par un sourire son air renfrogné. Lui, bien sûr, n’en aura pas conscience et sera toujours aussi chafouin, ce sera le monde vu de nos yeux, façonné par nous. Une illusion d’optique bien agréable.

Mais notre super vision, l’oeil du lynx dans l’orbite de l’homme, traversera aussi les murs, déshabille­ra d’un simple regard. La transparen­ce totale, littéralem­ent pour une fois. Rien ne se cachera plus, tout sera découvert. Plus rien à voir donc. Nicolas Carreau illustrati­on Jérémy Le Corvaisier

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