Les Inrockuptibles

“p ar un beau geste, un but, un footballeu­r peut suspendre le temps, comme un artiste avec une chanson”

Julien Doré

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Tous les matchs sont diffusés. Un joueur est jugé sur un Paris- Guingamp comme si c’était décisif.

Vous diriez que la pression est plus forte aujourd’hui sur les joueurs ?

Michel Platini –

Je ne sais pas... Je pense déjà que ce n’est pas la même pression s’ils sont français ou pas. Ibrahimovi­c s’en fout, je crois, de ce que la presse française peut écrire sur lui. Il ne la lit pas. Un Français comme Ménez, quand on le critique, ça doit le blesser, blesser sa famille… La différence entre Julien et un joueur de foot, c’est que quand il entre dans la salle pour un de ses concerts, les gens sont là parce qu’ils l’aiment. Un joueur de foot peut disputer un match devant un stade où les gens l’insultent.

Effectivem­ent, c’est pas rien comme différence ! Ça vous est arrivé souvent ?

En début d’année, je suis allé voir un match, Florence- Barcelone, à Florence. Là- bas, ils détestent la Juve. Quand je suis entré avec le président dans le stade, un mec qui passait en moto a hurlé “Platini, va fanculo !” Le président s’est excusé, super gêné. Mais je lui ai dit que c’était un vrai bonheur. J’avais l’impression de revenir vingt ans en arrière ! Aller à Florence sans se faire insulter, y a pas de plaisir ( rires). Je sais qu’au fond, c’est pas méchant.

Julien Doré –

Michel Platini –

A l’époque où vous jouiez, vous aviez un tel détachemen­t ?

Michel Platini –

La première fois que je suis arrivé pour jouer à Florence, on était tous allongés dans le bus parce que les supporters florentins avaient brisé les vitres en nous jetant des pierres. C’était difficile d’être complèteme­nt détaché ( rires).

On n’a gardé que les bons souvenirs de vous en équipe de France, mais il y a eu des matchs, contre Stuttgart par exemple, où vous vous faisiez siffler…

Michel Platini –

Je me souviens de ce match amical en août 1981, peu après l’élection de François Mitterrand. Le bouquin d’un journalist­e venait de sortir qui prétendait révéler combien d’argent je gagnais. Il racontait n’importe quoi, moi- même je ne savais pas combien je gagnais à l’époque. Des chiffres étaient sortis dans la presse, les socialiste­s étaient au pouvoir et en entrant sur le terrain j’avais l’impression d’être un aristo à qui il fallait désormais couper la tête. J’ai dit : “Puisque c’est comme ça, je sors.” Mais le match d’après, je suis revenu et j’ai mis deux buts contre l’Angleterre ( il fait un clin d’oeil).

Et Michel Hidalgo vous avait sorti ? Michel Platini –

Oui. Le public hurle “Platini dehors”, donc je sors. Mais à l’époque, la France était un pays où le football n’était pas du tout au centre de l’attention médiatique. Ça commençait juste. Jusqu’aux années 70, en France, tout le monde s’en foutait, du foot. Ma génération a joué au football pour montrer aux gens que c’était un sport magnifique. Avant les années 80, c’était impensable qu’un artiste, un intellectu­el, parle de foot. Même Mitterrand, qui aimait vraiment le foot, n’en parlait jamais…

En France, c’est vrai. Mais en Angleterre, le foot et la pop sont vraiment très imbriqués. L’un comme l’autre appartienn­ent à la pop culture. Tous les groupes ont leur club fétiche, en parlent en interview…

Julien Doré –

Avec Julien, en préparant celle- ci, on parlait de votre entretien croisé avec Marguerite Duras, publié en 1987 dans Libération…

Michel Platini –

Il a vraiment marqué, on m’en parle encore régulièrem­ent ! A l’époque, je n’aurais jamais cru. Je n’ai pas compris grand- chose à ce qu’elle disait…

Elle avait des visions. C’est ça qui était beau ! Il y a une phrase très belle que vous lui aviez répondue. Vous disiez que le football n’est pas un sport logique. Il n’a pas de lois. Les mécanismes qui font qu’une équipe perd ou gagne sont irrationne­ls. Et pourtant, tout le monde passe son temps à essayer de les expliquer…

Julien Doré –

Michel Platini –

Bien sûr. C’est le seul sport, je crois, où tu peux être le meilleur sur le terrain pendant quatre- vingt- dix minutes et pourtant perdre. En tennis, si t’es le meilleur, tu gagnes…

Ah oui ! En musique, on a ça aussi : ça s’appelle les Victoires de la musique. Même si t’es le meilleur, tu perds ( rires).

Julien Doré –

Le moment où vous arrêtez de jouer, à 32 ans, vous l’avez vécu comme un deuil ?

Michel Platini –

Non parce que je n’avais plus d’essence. J’étais cuit, à plat. J’ai été blessé pendant un an. Pendant six mois, j’ai pris des anti- inflammato­ires pour ne pas boiter. Il fallait vraiment que j’arrête. Mais je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire après. Je n’avais rien prévu. Je ne voulais pas être entraîneur. Je suis devenu sélectionn­eur de l’équipe de France presque par hasard et je n’étais pas fait pour ça. Ensuite, je me suis retrouvé président du comité d’organisati­on de la Coupe du monde 98, parce que Mitterrand souhaitait qu’il y ait une coprésiden­ce. Grâce à la Coupe du monde, j’ai rencontré Sepp Blatter qui m’a demandé de l’aider à devenir président de la Fifa. Je suis devenu membre du comité exécutif

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