Les Inrockuptibles

“c ’ est assez fort de pleurer à onze dans un vestiaire… Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça”

Michel Platini

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Quand on est journalist­e, commentate­ur, on peut ne pas être d’accord mais on ne prend pas de décisions. J’ai voulu conquérir la légitimité à prendre des décisions. Même si je le fais de façon démocratiq­ue.

Michel, quels sont les joueurs que vous aimez regarder jouer aujourd’hui ?

Michel Platini –

Il y en a que vous ne connaissez même pas parce qu’ils ne sont pas très célèbres, qui sont très bons et qui créent des choses quand ils jouent. Après, il y a les stars… Le joueur que j’ai le plus aimé, c’est Johan Cruijff ( le Platini néerlandai­s des années 70 – ndlr). Il a été mon idole.

Que pensez- vous de Rémy Cabella,

Julien Doré –

par exemple ?

Michel Platini –

C’est un très bon joueur. Des bons, il y en a beaucoup et le football français doit en créer de très bons pour pouvoir les vendre et rivaliser financière­ment. Mais chaque match a quelque chose, que ce soit en Ligue 1 ou en Ligue 2. Il y a toujours un enjeu, une pression… C’est pour les émotions qu’il procure que les gens aiment tellement le foot. Exactement comme la musique.

Julien, est- ce qu’il y a des matchs dont tu te souviens de chaque minute ?

Julien Doré –

Ma grand- mère est italienne. Je suis né le 7 juillet 1982, ma naissance a pris un peu de temps, donc ma grand- mère était obligée de suivre les matchs de la Coupe du monde à l’hôpital, aux côtés de ma mère. Ça l’a beaucoup agacée, elle était une grande supportric­e de l’Italie. Et cette année- là, ils ont gagné le Mondial espagnol. Petit, j’ai des souvenirs d’elle devant les matchs de foot. Les premiers matchs dont je me souviens le plus ensuite, ce sont ceux de 98, puis ceux de Montpellie­r à la Mosson, contre l’Etoile rouge de Belgrade, ou le dernier match de Bruno Martini ( gardien de Montpellie­r de 1995 à 1999 – ndlr)… Quand j’ai vu entrer les gars de Montpellie­r en Ligue des champions face à Arsenal, j’y croyais pas, j’étais vraiment ému. Aussi ému que quand j’écoute la musique de Neil Young. Pour moi, il y a une continuité entre l’un et l’autre. Un footballeu­r peut, par un beau geste, un but, suspendre le temps, comme un artiste avec une chanson me donne le sentiment que le temps s’est arrêté pendant trois minutes.

Le France- Allemagne de Séville ( lors du Mondial 82 – ndlr). On a vécu des choses inoubliabl­es. J’en avais parlé à Marguerite Duras. C’est le plus beau souvenir de ma vie, ce match- là. Et on l’a perdu. Il a duré deux heures, et durant

Et vous Michel, un match inoubliabl­e parmi ceux que vous avez joués ?

Michel Platini –

ces deux heures on est passés par toutes les émotions de la vie. Toutes. La crainte, la haine, l’amour, la joie… C’était un moment de vie unique, comme je n’en ai jamais vécu dans ma vie de footballeu­r. Et après, quand on se retrouve dans les vestiaires, on est onze à pleurer. C’est assez fort de pleurer à onze… Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça…

Moi, quand le bus de la tournée fait son dernier trajet, que les quatorze gars réalisent que c’est le dernier voyage et que moi je sais que pour que cette aventure à plusieurs se reproduise, il va falloir que je réécrive des chansons, je vous jure qu’on est tous en larmes. Même les gars les plus tatoués et les plus costauds qui portent le matériel…

Oui, c’est la deadline. J’ai vécu ça le jour de la finale en 98, après des années passées à l’organiser, cette Coupe du monde en France. Pour moi, pour l’équipe, c’était fini, tout simplement, rien après, point final. Alors que quand tu es joueur, il y a toujours un autre match derrière.

Julien Doré –

Michel Platini – Elle va être comment, la Coupe du monde au Brésil ? Michel Platini –

Ça dépend beaucoup de comment vont se passer les choses socialemen­t. Je n’ai pas de bons échos de la situation. Il y a des tensions, des manifs. Je ne sais pas si le pays va faire la paix pendant un mois ou au contraire se déchirer en profitant de l’impact du Mondial. En tout cas, ça va être très fliqué, militarisé. Ce qui n’est pas le but d’une Coupe du monde.

Le Brésil a des problèmes sociaux et politiques, mais c’est une démocratie. En 1978, la Coupe du monde avait lieu en Argentine, sous la dictature. Quel souvenir en gardez- vous ?

Michel Platini –

Je me souviens que tous les intellectu­els m’ont cassé les couilles pour ne pas y aller. Et Yves Montand, Simone Signoret… Il s’est passé la même chose récemment avec la Russie et les Jeux de Sotchi. Ma position a toujours été contre le boycott. Je pense qu’il vaut mieux que les sportifs se rendent sur place et expriment leur sentiment. Il y a toujours des ambassades, des échanges diplomatiq­ues et commerciau­x avec les pays incriminés, alors pourquoi le sport devrait- il être le seul à pratiquer le boycott ? Décrété par des gens qui ne s’y intéressen­t jamais autrement. Je ne suis pas d’accord. Julien Doré en tournée le 8 juin à Maubeuge ( Les Folies de Maubeuge), le 26 à Nancy ( L’Autre Regard), le 27 à Lyon ( Les Nuits de Fourvière), le 11 juillet à La Rochelle ( Francofoli­es), le 19 à Carhaix ( Vieilles Charrues), les 15 et 16 novembre à Paris ( Olympia) lire aussi l’édito de Frédéric Bonnaud p. 6

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