Les Inrockuptibles

Celui que l’on aimait trop

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Cette coolitude de Spider- Man, qui n’est même plus contrariée par les tourments de puceau de Peter Parker, cette aura sûre de son fait qui l’entoure, est peut- être aussi un fardeau. Et là tient la part la plus intéressan­te de The Amazing Spider- Man – Le destin d’un héros. L’un des charmes des comics est que personne n’y est essentiell­ement “méchant”. Le “méchant” est toujours un gentil pour qui le cours des choses tourne mal et qui, à un moment donné, mute. Il y a deux “méchants” dans ce nouvel épisode, et tous deux ont beaucoup aimé Spider- Man. Trop sans doute.

Le premier est Max, un technicien de l’entreprise Oscorp, interprété avec malice par Jamie Foxx, qui se voit comme un “nobody”, un individu solitaire qui n’existe que par son travail et auquel personne n’accorde d’attention. “You’re not a nobody. You’re somebody!”, lui dit Spider- Man pour l’encourager après lui avoir sauvé la vie et avant de s’envoler pour en sauver d’autres à la chaîne. Mais cette phrase lancée négligemme­nt va germer et désormais Max est obsédé par celui qui l’a regardé, l’a appelé par son prénom, l’a gentiment aidé à rassembler ses affaires éparpillée­s sur le sol. Il occupe désormais ses soirées à parler seul chez lui à son imaginaire. Et, bien sûr, lorsque Max le nobody opère sa mue en Electro le monstre, cette reconnaiss­ance excessive ne tarde pas à devenir une rancune sans fond. On se sent toujours abandonné à un moment ou à un autre par ceux dont on a reçu l’attention, et le drame de Spider- Man est désormais de susciter de trop grands investisse­ments affectifs.

Même topo pour le second “méchant”. Lui est carrément son meilleur ami, le jeune milliardai­re Harry Osborn ( auquel Dane DeHaan, vu dans Chronicle et The Place Beyond the Pines, prête son physique de dandy poupin), qui a hérité très peu d’amour de son puissant père mais beaucoup de pouvoir et surtout une incurable maladie dégénérati­ve. Harry développe alors une obsession : si Peter lui donnait son sang de mutant, il guérirait. Cette idée fixe le mène jusqu’à la folie criminelle.

On veut son regard, on veut son sang. On veut son amour aussi, comme Gwen, sa petite amie qui paie très cher de ne pas avoir pris l’avion pour l’Angleterre qui devait l’éloigner de Peter. C’est le principe dramatique retors de ce nouvel épisode : ce qui précipite vers le mal, la mort ou le malheur, c’est d’aimer trop le héros. C’est là le destin du titre : l’héroïsme de Spider- Man est à la fois le poison et le remède.

Déserter son pays par amour, refuser sans hésiter sa charge de superhéros est l’une des propositio­ns singulière­s de ce nouveau Spider- Man, dont le rapport affranchi à la politique s’incarne dans l’usage qu’il fait de New York. Tourné en partie dans les décors réels de la ville, selon la volonté de Marc Webb de réinscrire l’homme- araignée dans l’imaginaire new- yorkais, SpiderMan est paradoxale­ment l’un des films de superhéros les moins travaillés par la mémoire du 11 Septembre. Ici, les buildings sont des tremplins et des obstacles entre lesquels Spider- Man voltige avec une jubilation enfantine retrouvée – aux antipodes des mégalopole­s anxiogènes d’un Nolan. Le ciel de New York est redevenu un terrain de jeu… The Amazing Spider- Man – Le destin d’un héros de Marc Webb, avec Andrew Garfield, Emma Stone, Jamie Foxx ( E.- U., 2014, 2 h 22)

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