Les Inrockuptibles

Un patient a des conversati­ons privées avec Dieu ; une salle est dédiée à leurs échanges

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Cet ancien pensionnai­re de 48 ans a toujours son studio ici. Sa vision de la folie ? “Nous sommes tous frères et soeurs, nous les êtres humains. Tous du même pool génétique. Donc tous un peu débiles ! On vit des temps fous, et ça nous rend fous. Les docteurs m’ont examiné et j’ai eu quatre ou cinq diagnostic­s différents, ce qui est déjà assez fou en soi.” Son travail évoque souvent la condition noire. Il met aussi en scène des superhéros dans des situations triviales, tels l’Incroyable Hulk lisant le journal aux toilettes ou Superman éclusant des bières sur un canapé.

D’autres tableaux, plus personnels, évoquent sa mère ou sa condition d’aliéné. Comme cette chaîne de gens nus qui s’étranglent, représenta­nt la hiérarchie de l’administra­tion psychiatri­que et au bout, lui- même. “Quand j’ai des crises, je vois le monde dans son absurdité et je restitue cette absurdité au centuple dans mes tableaux.” Issa a l’air tellement normal qu’on se demande pourquoi il a été enfermé si longtemps. Il explique que son cas est “à relier avec la consommati­on de drogues”. Quelques lignes puisées dans ses Mémoires autoprodui­ts révèlent qu’à l’âge de 19 ans, il a tué sa mère lors d’une crise de démence paranoïaqu­e. Le tribunal l’a jugé irresponsa­ble, mis sous traitement et envoyé à Creedmoor. Sous médicament­s, son état s’est stabilisé. Issa a commencé à peindre la nuit, dans sa cellule. Il a produit des albums folk depuis les toilettes de sa chambre “parce que l’acoustique était meilleure” ; il en offre un exemplaire. L’une des chansons, la sexy en diable Hot for Charlotte, a été composée pour la directrice de l’asile. Il lui avait même envoyé un CD par courrier.

Mais après un différend pécunier ( payé 2,50 dollars de l’heure pour repeindre la salle d’activités de l’asile,

il réclamait une augmentati­on qu’il n’a pas obtenue), Issa a révisé son jugement et a peint la directrice en uniforme de soldat nazi. Tous les tableaux de sa chambre ont provisoire­ment été confisqués. Il a aussi été mis à l’isolement pour avoir vécu une romance avec une thérapeute de trente ans son aînée. Autant de faits d’armes qui ont posé pas mal de problèmes pour sa libération. Après plusieurs refus, Issa a finalement utilisé l’argent de la vente de ses toiles pour s’acheter les services d’un expert indépendan­t qui l’a déclaré apte à sortir de Creedmoor en avril 2009, près de vingt ans après son arrivée. Son art lui a littéralem­ent rendu la liberté.

Aussi étrange que soit le Living Museum, il a quelque chose d’une oasis de repos, à l’écart du monde. “Vous ne trouvez pas que tout le monde est sympathiqu­e, gentil, ouvert ?, commente le docteur Marton lors d’une visite. C’est l’un des symptômes de la maladie mentale : l’extrême gentilless­e. Quel délice de s’asseoir à côté de quelqu’un qui n’est pas en compétitio­n et ne vous juge pas. C’est un monde plus sympa que dehors… Si on prend ce sentiment à bras- le- corps, on peut l’utiliser.” L’atmosphère pacifique du lieu s’explique, selon le docteur, par sa politique de ségrégatio­n : un terme qui, pour lui, est loin d’être un gros mot. “Au Living Museum, nous prenons parti pour la ségrégatio­n des malades mentaux. Il y a d’énormes avantages.” Notamment les mettre à l’abri de la peur et du rejet des fous par la société. “Le monde extérieur est cruel, encore davantage avec les aliénés. Mais si vous êtes assis avec quelqu’un de malade comme vous, vous allez vous comprendre. La maladie ne sera plus un obstacle. Le trauma commun, les persécutio­ns créent une empathie.”

Le plus surprenant est la distance que certains artistes entretienn­ent avec la folie. Comme s’ils l’apprivoisa­ient. Croisé au rez- de- chaussée, Drew Mulfall dessine des billets de banque et de l’heroic fantasy au stylo Bic. Il sait qu’il atteint un potentiel créatif maximum

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