Les Inrockuptibles

Gabber is not dead

Danser le plus vite possible, s’exploser la tête et oublier le quotidien. A Paris, une semaine d’événements retrace l’histoire du gabber, subculture hardcore née en Hollande au début des années 90, dont l’esthétique revient en force.

- Par Géraldine Sarratia

Interviewé­s en 1995 contre un des murs de l’Energiehal, un énorme club en béton en lisière de Rotterdam, une dizaine de jeunes se succèdent face caméra. En fond sonore, de lourdes basses techno résonnent. “C’est hardcore”, répond un garçon filmé par la caméra de Wim van der Aar pour son documentai­re Gabbers! “C’est ma musique, c’est tout pour moi”, crie une fille enthousias­te avant de s’éclipser. Ils ont entre 15 et 20 ans. Le crâne rasé, parfois surmonté d’une queue de cheval. Tous portent des vestes de sport aux couleurs vives, un bas de survêtemen­t blanc ou un jean. Aux pieds, des Nike Air 90. Leurs yeux fatigués disent les heures écoulées, la fatigue, la bière un peu trop chaude, les montées d’ecsta. Ce sont des gabbers.

Le mot, qui signifie au départ “copain” en yiddish, désigne, en ce milieu des années 90,

la culture jeune la plus puissante que la Hollande ait jamais connue. Plus qu’un style musical, ce dérivé de la techno hardcore ultrarapid­e ( entre 160 et 190 battements par minute) est devenu un mode de vie : aux Pays- Bas, un jeune sur trois est gabber. La philosophi­e du mouvement est, elle, aussi minimale que les bribes de mélodies synthétiqu­es qui ponctuent les morceaux. La seule religion qui vaille ici est celle de la vitesse. “Faster is better”, répètent les gabbers comme un mantra. La légende veut que DJ Rob, résident du Parkzicht, l’autre gros club de Rotterdam, ait donné naissance au son gabber en 1989, en accélérant des titres de breakbeat anglais et de techno allemande, et en les rythmant à l’aide d’une TR- 909.

Chaque week- end, comme aimantés, les gabbers répondent à l’appel des basses lourdes. Ils dansent le hakken, série de mouvements et de sauts ultrarapid­es qu’ils enchaînent le plus vite possible en rythme, jusqu’à ce que leurs muscles soient douloureux. On ne vient pas ici pour draguer ou parler avec son voisin. On s’explose la tête, on décharge, on trompe l’ennui. “Le gabber était un mouvement de classes populaires et peu instruites, de jeunes un peu paumés qui avaient plutôt mauvais goût et vivaient dans des villes fantômes près de bassins industriel­s à fort taux de chômage. Bien que populaire, ce mouvement n’avait rien de revendicat­if, comme pouvait l’être celui des skinheads qui faisait de l’appartenan­ce au prolétaria­t une fierté malsaine. Il y avait certes quelques extrémiste­s et quelques récupérati­ons nationalis­tes dans la scène gabber, mais ce n’était pas la majorité. Les gars et les filles que j’ai connus à cette époque n’allaient plus au lycée. Pour la plupart, ils travaillai­ent déjà. Le quotidien était morne”, explique Alberto Guerrini, spécialist­e du mouvement. Auteur du fanzine Gabber, in the Name of Love présenté en off de la Biennale de Venise en 2009, il réalise depuis un an Gabber Eleganza, un tumblr conçu comme une archive visuelle2. On y trouve aussi bien la collection 1995 de Raf Simons, inspirée par le mouvement, que des photos de murs d’enceintes, de looks fétichisés, de vieux gabbers. Guerrini a lui- même été gabber.

Devenu énorme aux Pays- Bas dans la deuxième moitié des années 90, le mouvement essaime en Allemagne, en Belgique et en Italie. La France, mis à part le NordPas- de- Calais, est restée hermétique au gabber.

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