L’imagination au pouvoir
Un projet révolutionnaire est- il possible aujourd’hui ? Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval en voient les prémices dans une notion qui se développe au coeur des mouvements sociaux : le commun.
Les mouvements sociaux apparus à l’échelle du monde depuis le début des années 2000 ont remis l’idée du “commun” au centre des luttes politiques alternatives. En partant de ce foisonnement militant, Pierre Dardot et Christian Laval prolongent avec leur livre Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle, leur critique du néolibéralisme1 en définissant une nouvelle pensée du commun. Une invitation au dépassement du capitalisme et à la réappropriation collective des biens et services.
Selon vous, le “commun” s’est imposé comme un motif récurrent que l’on retrouve dans les pratiques politiques alternatives. Comment définir cette aspiration ?
Pierre Dardot –
On a réfléchi à partir de l’émergence de mouvements sociaux à l’échelle mondiale, sans connexion immédiate entre eux : on s’est rendu compte que le principe du commun était à l’oeuvre, sans être forcément réfléchi. Ce qui nous a marqués particulièrement, ce sont les événements du parc Gezi, à Istanbul ( en juillet 2013, le lieu, destiné à être détruit, est devenu le symbole des contestations contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan – ndlr) : il y avait cette idée d’espaces de vie urbains et collectifs que les citoyens d’Istanbul voulaient préserver pour l’usage commun ; il y avait la volonté de confiscation du gouvernement avec le projet de construction d’une mosquée, d’un supermarché ; il y avait en même temps la référence à la Commune, c’est- à- dire à l’autogouvernement politique local. Cette articulation nous a semblé révélatrice. A partir de ce triptyque, on a pu dégager le principe du commun.
Christian Laval –
Cela fait pas mal de temps qu’on réfléchit à l’alternative politique. On a entrepris de faire un diagnostic critique de l’état du monde à travers nos analyses du néolibéralisme. Nous voulions abandonner la phase de déploration qui prétend qu’il n’y a pas d’alternative, pas de mots, pas de concepts pour penser l’après- capitalisme. Or on est arrivé à une période où, dans les mouvements comme au parc Gezi, des acteurs posent eux- mêmes Istanbul, juillet 2013 : des manifestants opposés à la fermeture du parc Gezi fêtent dans la rue la rupture du jeûne du ramadan les termes de l’alternative, à travers l’idée des communs et de la Commune.
Quels sont les axes politiques forts de ce principe du commun ?
Pierre Dardot –
Quand le thème a émergé à la fin des années 90, deux préoccupations s’imposaient : la défense des services publics face à leur remise en cause à l’échelle mondiale ; ce fut la grande thématique de l’altermondialisme. Puis il y eut en même temps la préoccupation environnementale. Les deux questions se sont nouées de manière pratique. Au début, il n’y avait pas de jonction entre les communs publics et les communs naturels. C’est finalement venu dans le mouvement lui- même ; les militants ont compris qu’il y avait là deux facettes du même ennemi.