“la révolution est ce moment où une société se ressaisit de son destin”
Christian Laval
Christian Laval –
Ce qui est en cause, c’est la façon dont on peut régler collectivement un usage sans s’instituer en propriétaire. C’est un point fondamental. Les mouvements sociaux ne revendiquent pas la propriété mais plutôt le droit d’usage contre la logique propriétaire, que ce soit la logique de la propriété d’Etat ou la logique de la propriété privée.
En fait, dire que tout doit être organisé à partir du commun signifie que tous les secteurs de l’activité économique doivent, en tant que lieux de coproduction des biens et des services, être organisés selon des principes démocratiques. Nous retrouvons des aspirations anciennes, nées dans les luttes qui ont voulu lier l’activité de production économique et des formes démocratiques d’organisation.
En quoi le commun forme- t- il un projet révolutionnaire ?
Christian Laval –
Nous tenons à redonner toute sa grandeur à l’idée de révolution contre le détournement et la captation dont elle a fait l’objet par la pensée conservatrice et le marketing. Certains, sans craindre l’oxymore, osaient parler de “révolution
Pierre Dardot –
conservatrice”. Nous devons nous réapproprier l’idée de révolution, mais sans l’entendre comme un coup d’Etat, un putsch, mais à la manière du philosophe Cornelius Castoriadis ( qui conçut un projet de société visant l’autonomie individuelle et collective – ndlr) : la révolution est ce moment où une société se ressaisit de son destin, où elle repense et refonde ses institutions centrales. Les désastres sociaux et écologiques que nous subissons, l’effondrement des démocraties parlementaires sur elles- mêmes auquel nous assistons élection après élection, nous semblent indiquer qu’on va assez rapidement vers des moments très critiques.
Toute révolte n’est pas forcément une révolution. Ce qui nous semble crucial, c’est la part reconnue à l’imaginaire social. L’idée qu’une société puisse instituer de nouvelles valeurs, ce que Castoriadis appelle des “nouvelles significations imaginaires”. Une révolution, pour nous, quelle qu’en soit la forme, est un retour de la société sur elle- même : les anciennes valeurs ne peuvent plus avoir cours, il faut en instituer de nouvelles. Ce noyau est important à transmettre.
Quels sont les foyers actuels où vous pensez que la révolution se prépare d éjà ?
Christian Laval –
Il y en a plusieurs, qui ne sont pas d’emblée connectés. On peut en citer quelques- uns : par exemple les expériences liées à internet, avec les nombreuses réflexions sur les communs qui les accompagnent, comme le logiciel libre, le wiki, les “makers”… Ou toutes les luttes qui concernent la résistance à l’accaparement des terres, à l’expropriation des paysans et à la dépossession des savoirs locaux. On en trouve beaucoup en Amérique latine – en Argentine autour des coopératives, en Bolivie autour de l’eau, au Brésil autour des mouvements des sans- terre et des luttes urbaines… En Europe aussi, il se passe des choses, surtout en Italie, pays où la réflexion est la plus avancée. La société italienne s’est mobilisée, comme on l’a vu lors du référendum sur l’eau et les biens communs en juin 2011, avec la constitution de comités de défense des biens communs qui se sont créés un peu partout. Signe des temps, on y retrouve, comme aux Etats- Unis, la jonction de pratiques sociales et une réflexion juridique très novatrice sur les communs. C’est l’objet de notre travail de montrer le rapport qui existe entre ces multiples foyers pour dégager une sorte de cohérence stratégique entre des pratiques qui relèvent d’une même logique. Les juristes critiques sont en première ligne pour tenter de faire entrer dans la Constitution et le code civil des biens communs articulant les pratiques démocratiques et les droits sociaux fondamentaux. Cela annonce une pensée nouvelle du commun. 1. La Nouvelle Raison du monde – Essai sur la société néolibérale ( La Découverte, 2009) Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle de Pierre Dardot et Christian Laval ( La Découverte), 592 pages, 25 €