Les Inrockuptibles

Joe de David Gordon Green

Nicolas Cage, bête féroce et superbe, dans un drame gothico- sudiste parfois un peu lourd.

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Une rumeur voudrait que Joe signe le “retour” de Nicolas Cage. Or il faudrait pour cela qu’il soit un jour parti : assomption certes courante, mais discutable si l’on veut bien y regarder de près. Car malgré l’échec public de sa production des quatre ou cinq dernières années ( qui ne sort pratiqueme­nt plus en salle, ou à peine), Cage n’a cessé d’y déployer avec brio, et une liberté totale, son art chamanique du jeu. Mais c’est un autre débat, et qu’importe : il excelle ici, et l’essentiel est que le monde semble à nouveau s’en rendre compte.

Dans la poisseuse forêt texane ( peu ou prou la même que celle de Prince of Texas, le précédent film de David Gordon Green), il incarne Joe, ex- taulard chargé avec quelques soldats de fortune d’empoisonne­r des arbres que la loi empêche d’abattre. C’est pour cette mission qu’il engage Gary ( Tye Sheridan), ado futé fuyant un foyer à l’ambiance délétère, où règne sa brute de père. Le jeune acteur, découvert chez Terrence Malick ( The Tree of Life) prête sa fougue et son opiniâtret­é au personnage, quasiment calqué sur celui qu’il interpréta­it déjà dans Mud de Jeff Nichols.

Sa présence au générique n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre les deux films : le Sud crasseux, un père de substituti­on ( fâché avec l’autorité) contre un père défaillant, deux acteurs carbonisés en quête de crédibilit­é – se souvenir qu’il y a quelques années, le nom de Matthew McConaughe­y ( Mud dans… Mud) prêtait à sourire –, et puis trois lettres, Mud ou Joe, qui claquent comme la queue des crotales que défient inlassable­ment les héros éponymes. Nulle surprise : Green et Nichols sont amis depuis la fac, assistants sur un documentai­re à propos de Larry Brown, leur écrivain préféré, dont le roman éponyme a inspiré le scénario de Joe – et clairement celui de Mud.

On aimerait oublier l’existence de ce dernier le temps de la projection, tant la comparaiso­n est cruelle, mais c’est malheureus­ement impossible. A l’heure où le southern gothic devient un nouvel académisme, Green en reconduit ad nauseam les effets atmosphéri­ques ( couchers de soleil forcément sublimes, ralentis à la Malick…), et la morale impitoyabl­e – là où Nichols, par son classicism­e rigoureux, s’écartait de tout ce folklore. Tout est là, tout ce que l’on chérissait jadis chez l’auteur de L’Autre Rive et chez les autres, mais tout paraît désanimé, confus, automatiqu­e, pour ne pas dire caricatura­l comme le personnage du père alcoolique. Reste Nic Cage, autour duquel tout le monde tourne, fasciné autant qu’apeuré, comme au zoo, et qui porte décidément son nom de famille à merveille. Jacky Goldberg Joe de David Gordon Green, avec Nicolas Cage, Tye Sheridan ( E.- U., 2013, 1 h 58)

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