Les Inrockuptibles

“la télévision est devenue le grand récit populaire de l’époque”

Showrunner de True Detective, Nic Pizzolatto revient sur la genèse de la série et décortique ses motivation­s. Il s’interroge également sur les rapports qu’entretient le genre sériel avec le cinéma et la littératur­e.

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Avec True Detective, il a créé la bombe sérielle de l’année, entre récit policier atmosphéri­que et réflexion métaphysiq­ue sur la douleur d’exister. De passage à Paris pour le festival Séries Mania alors qu’il écrit actuelleme­nt la saison 2, le scénariste et écrivain Nic Pizzolatto a livré quelques secrets de fabricatio­n et exprimé son enthousias­me à travailler pour HBO. “On m’a donné les clefs d’une Ferrari, je n’allais pas la conduire lentement.”

Vous avez écrit un roman et enseigné la littératur­e. Pourquoi être passé à la télé ? Nic Pizzolatto – Là où j’ai grandi, dans le sud de la Louisiane, la télévision a été ma première fenêtre vers la culture et le monde, au- delà des champs. Cette petite boîte m’a toujours accompagné. Je considère Dennis Potter ( scénariste de The Singing Detective et Pennies from Heaven – ndlr) comme l’un des plus grands écrivains d’après- guerre, toutes discipline­s confondues. Pour moi, les choses se sont précisées entre 2003 et 2004, quand HBO passait à la fois Les Soprano, Deadwood et The Wire. Ma soif de fiction se trouvait étanchée par ces séries plus que par la littératur­e de l’époque. Il y avait quelque chose de vital et de viscéral, elles parlaient directemen­t

True Detective

de l’expérience contempora­ine. Ensuite, j’ai appris ce qu’était un showrunner, cette idée qu’à la télé, l’auteur est le scénariste. J’ai été séduit par la possibilit­é de contrôler tous les aspects d’une expérience créative, comme pour un livre. J’ai été peintre avant de commencer à écrire, cela pouvait aussi satisfaire ma passion pour le visuel. Mais je n’y croyais pas vraiment : il y avait un tel écart de classe, de géographie, de moyens, entre quelqu’un comme moi et les machines géantes qui fabriquent des séries…

Vous auriez déclaré vous être lancé dans une série parce que plus personne ne lit de romans en Amérique. C’est vrai ?

Je ne crois pas que les séries puissent remplacer l’expérience de la littératur­e. L’appel de l’imaginaire qu’elle provoque me semble unique. La prose et la poésie ne doivent surtout pas être remplacées. En revanche, en Amérique, c’est vrai, les gens lisent peu. La télévision est devenue le grand récit populaire de l’époque, un rôle qu’avait longtemps endossé le cinéma. Leur responsabi­lité est immense. On ne peut pas nier que le grand roman social du XXIe siècle, c’est The Wire.

propose une enquête policière classique dans une structure narrative assez complexe entre plusieurs époques. Pourquoi ce choix ?

Sur l’un de mes premiers carnets de notes, j’avais griffonné l’idée de la voix de Rust Cohle ( interprété par Matthew McConaughe­y – ndlr) racontant une histoire… Une part non négligeabl­e de la série est restée fidèle à ce point de départ : des plans fixes sur des gens qui parlent. En tant que scénariste, je ne m’autorise aucun engagement politique ou religieux. Mon engagement va exclusivem­ent aux personnage­s. Les gens croient peut- être que True Detective les intéresse pour diverses raisons, mais ils regardent Cohle et Hart, c’est tout. J’ai voulu une série pleine de monologues car son sujet profond, ce sont les récits. Nous vivons et mourons par les histoires que nous nous racontons. Une enquête policière est une histoire dont on met bout à bout les éléments alors que la fin a déjà été écrite. L’une des ambitions de la série est de mettre en examen la narration : l’enquête centrale est racontée à travers plusieurs sources, à plusieurs époques différente­s. Une tension se crée entre ce qui est arrivé, ce qui est dit, ce que les uns et les autres projettent… La structure discursive de True Detective est une manière pour moi d’affirmer que ce qui compte n’est pas l’enquête, mais les interactio­ns et la dynamique des personnage­s. On ne suit pas la procédure du récit comme on suivrait une procédure policière. C’est pourquoi j’ai évité de faire une grande révélation au dernier épisode.

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