Les Inrockuptibles

La belle personne

L’oeuvre et la correspond­ance de Madame de Lafayette entrent dans La Pléiade. Où l’on découvre les nouvelles, moins connues, de cette figure amoureuse et féministe avant l’heure.

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Il est amusant de voir, à quelques semaines d’intervalle, entrer deux noms aussi peu assortis que possible au catalogue de la Pléiade : Jean d’Ormesson et Madame de Lafayette. D’un côté, une juteuse opération commercial­e dont le bénéficiai­re a l’honneur d’être encore en vie – fait rare pour ce genre de consécrati­on –, de l’autre, une intronisat­ion invraisemb­lablement tardive pour l’aristocrat­e et femme de lettres qui vit briller les beaux jours de la haute société parisienne dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

Si le patriarcat bon enfant, qui a ses côtés touchants ( qui ne rêverait de faire des confitures avec Jean d’Ormesson ou de créer à l’instar de Julien Doré un groupe de rock portant son nom ?), a de bonnes chances de se vendre en papier bible, Lafayette n’est pas en reste : un épigramme de Sarkozy en 2008 visant La Princesse de Clèves a suffi à remettre son oeuvre sur le devant de la scène. Inscrit dans la foulée au programme du concours d’entrée de l’ENS, le roman le plus célèbre de son auteur a été adapté la même année ( La Belle Personne de Christophe Honoré, en 2008) et a fait l’objet d’un documentai­re orchestran­t une riposte à la beaufitude présidenti­elle ( Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder, en 2009).

Une nouvelle starificat­ion que Madame de Lafayette n’aurait peut- être pas goûtée

en son temps. En 1662 paraît une nouvelle intitulée “La Princesse de Montpensie­r”. Notre comtesse, pourtant bien introduite dans le monde des lettres, intime de Madame de Sévigné et à la tête d’un salon, refuse de publier le texte sous son nom. Ignorant qu’une femme en est l’auteur, le tout- Paris se l’arrache, croyant reconnaîtr­e les personnali­tés à l’origine des amours contrariée­s de la belle princesse et ses quatre soupirants. Il y a indéniable­ment un côté gossip et voyeur dans l’oeuvre de Lafayette, tout entière inspirée de faits historique­s récents de son époque.

Il y a aussi la dureté de ces nouvelles, concentrés de noirceur et de drame avec dix rebondisse­ments à la seconde. Dans “La Princesse de Montpensie­r”, “La Comtesse de Tende”, “Histoire de la mort d’Henriette d’Angleterre”, l’art de l’hyperbole et de la “belle langue” présent dans La Princesse de Clèves (“son style est tout à fait du beau monde”, écrit un critique) disparaiss­ent au profit d’un enchaîneme­nt d’actions pures menant tous ces princes et ces princesses à leur perte. Brèves intrigues cinglantes comme le coup de fouet du destin, contre ces belles personnes ambitieuse­s ou lâches, coupables de ne pas savoir aimer.

On a parfois associé la vertu de la Princesse de Clèves à un acte de résistance. Pourtant, éviter “la mer de jouissance”, ce lieu figuré sur la carte de Tendre selon une géographie amoureuse imaginée par les Précieuses de l’époque, c’est disparaîtr­e. Toutes les héroïnes de Madame de Lafayette meurent de ne pas avoir succombé à la passion – de n’en goûter que les désavantag­es ( culpabilit­é, jalousie) sans jamais en jouir, soumises aux procès de la société et de la morale transmise par les aînées ( la mère de la princesse de Clèves).

Une fatalité éprouvée par l’écrivaine ? L’autre roman de ce volume qui ne dit pas son nom tient dans sa correspond­ance avec Ménage – grammairie­n, poète et son mentor pendant plus de trente ans. Tour à tour tendre, jalouse et enflammée, Lafayette nous apparaît, pour la première fois, sous les traits touchants d’une de ses héroïnes. Emily Barnett Madame de Lafayette – OEuvres complètes ( La Pléiade), 1 664 pages, 6 0 €

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