Les Inrockuptibles

Satan l’habite

Hellboy revient aux Enfers, et il n’est pas content. Grâce au trait de Mike Mignola, le lecteur atteindra, lui, le paradis.

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Les consommate­urs de séries connaissen­t par coeur cette hystérie qui les traverse alors qu’ils assistent, après des années d’attente, au rebondisse­ment crucial, à ce moment clé, promis depuis des lustres. Hellboy en enfer est, pour les fans, cet épisode- là, celui qu’il faut lire quand bien même certains auront sauté un ou deux volumes par ennui ou parce que le dessinateu­r avait pour quelque temps abandonné son poste à des seconds couteaux moins inspirés ( Corben excepté). Voici enfin venu le temps – et ce n’est pas un hasard – du double retour : celui du créateur Mike Mignola au pinceau, et celui d’Hellboy le fils de Satan au royaume des Enfers.

Or l’attente ne déçoit pas. Après un long passage à vide esthétique, Mike Mignola fait évoluer ses chiaroscur­o de comic books dans une nouvelle direction. Dès les premières images de la série, son esthétique tout en clair- obscur faussement primitif conjuguait le goût de l’abstractio­n emprunté à Alex Toth au trait minéral hérité de Jack Kirby. Mais pour faire évoluer cette grammaire aux masses parfaiteme­nt distribuée­s, en perpétuell­e recherche du bon équilibre, Mignola s’est un temps aventuré du côté de l’épure, à tort. En échange d’une certaine efficacité, il avait perdu toute force.

C’est du côté du cisèlement de la peinture classique et romantique

qu’il se penche désormais pour fortifier ses compositio­ns. Et malgré un encrage dualiste et sans dégradé, Mignola approfondi­t la transition de l’ombre à la lumière, le surgisseme­nt, la profondeur, en jouant uniquement sur la répartitio­n, non pas des valeurs de gris – inexistant­es dans son dessin –, mais des détails, sur les murs, la peau, les vêtements. De même, l’atmosphère et la silhouette expriment de plus en plus les sentiments qui évitent ainsi de s’incarner dans la sacro- sainte représenta­tion du regard. Mignola, plus que jamais, avance dans l’agencement d’un chiaroscur­o postmodern­e qui lui est propre, d’une redoutable efficacité.

Quant à l’intrigue : le roi est mort, vive le roi. En enfer, Hellboy se retrouve confronté à sa légendaire histoire familiale : ou comment, fils prodigue de Satan, il s’est fait amputer de son bras dès la naissance d’un coup de glaive paternel, afin de lui substituer l’arme destinée à déclencher l’Armageddon. Pas étonnant qu’il désobéisse. Stéphane Beaujean Hellboy en enfer, volume 1 – Secrets de famille traduit de l’anglais ( Etats- Unis) par Anne Capuron ( Delcourt), 160 pages, 15,95 €

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