Les Inrockuptibles

Jusqu’à la lie

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D’abord les aveux : j’ai acheté le livre infâme1, j’ai demandé une fiche à la libraire (“J’en ai reçu cinq, c’est l’avant- dernier, il reste celui de la vitrine”) et je l’ai lu. En moins de deux heures et en sautant sans la moindre mauvaise conscience les pages consacrées aux engagement­s humanitair­es de ma consoeur de Paris- Match, mais sans les terribles haut- le- coeur moraux éprouvés par des confrères plus vertueux que moi. Ni nausée ni mains sales, désolé, mais pas beaucoup d’empathie non plus, peu de joie mauvaise, plutôt un mélange de léger étonnement ( il serait méchant avec les pauvres, en plus ?) et de routine blasée, et les souvenirs du couple Hollande/ Royal, jeunes députés souriant pour la photo, avec leurs enfants, dans leur salon, le nouveau- né au biberon, et François apportant son petit- déjeuner au lit à Ségolène pendant la campagne de 2007 – alors qu’ils étaient déjà brouillés, non ?, on s’y perd… –, et l’annonce officielle de leur séparation un soir d’élections législativ­es, deux mois plus tard. Et Cécilia en jogging à la Concorde, et la famille recomposée traversant la cour de l’Elysée, et Carla à Eurodisney, et la “présidence normale”, et le tweet de Valérie, et ses bonnes oeuvres obligatoir­es, et ses chroniques littéraire­s dans Match, “pour donner envie aux gens de lire”, pitié pour eux. Tant de mises en scène minables, tant de n’importe quoi depuis si longtemps que c’est peut- être un peu tard pour exprimer son dégoût indigné devant le phénoménal degré d’abaissemen­t de notre monarchie républicai­ne.

Mais qu’est- ce qui est le plus scandaleux, au fond ? Qu’un président élu avec les voix des électeurs d’Eva Joly et de Jean- Luc Mélenchon fasse pendant cinq ans une politique de droite décomplexé­e, sans que rien ni personne ne puisse l’en empêcher ? Ou que son ex- compagne raconte – peut- être faussement, je ne sais – qu’il ne daigne manger de pommes de terre que de Noirmoutie­r ? Le problème est moins la vengeance – sonnante et trébuchant­e, certes, mais parfaiteme­nt compréhens­ible, et même humainemen­t prévisible, d’où son succès – d’une femme répudiée à la va- vite que l’épouvantab­le spectacle d’un système politique à l’agonie.

“Tu as l’air d’une reine…”, disait François à Valérie, quand celle- ci apparaissa­it dans ses plus beaux atours lors d’une quelconque cérémonie officielle. En racontant cela, madame Trierweile­r se remémore l’inconstanc­e et l’insoutenab­le légèreté d’un homme qu’elle a beaucoup aimé, mais elle n’a pas l’air de se rendre compte que tout son livre résonne comme un témoignage accablant contre la Ve République, ses ors et ses fastes, son étiquette grotesque et son trop évident travestiss­ement monarchiqu­e. Que faire de la reine quand elle ne l’est pas tout à fait, car non épousée ? Bah, tout compte fait, comme ses devancière­s, elle aura des bureaux, des collaborat­eurs, occupera “l’aile de Madame” et fera dans la soupe populaire, et tout ça aux frais de l’Etat, le plus naturellem­ent du monde.

Et Valérie de rêver sans rire d’un scénario “à la Clinton”, des excuses publiques de François et de sa promesse de ne plus jamais revoir Julie. On aura au moins échappé à ça… Ces fantasmes de journalist­e politique à Match transformé­e en “première dame”, presque malgré elle, constituen­t un terrible révélateur, par le plus petit bout de la lorgnette, de la déliquesce­nce de nos institutio­ns, écartelées entre leur modèle naturel Ancien Régime et l’américanis­ation des us et coutumes de la vie publique.

 ??  ?? A l’Elysée, le 15 mai 2012, jour de la passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande
A l’Elysée, le 15 mai 2012, jour de la passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande

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