Les Inrockuptibles

La culture sisterhood

Après le girl power, le sister power moderne, transgress­if et connecté.

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Ces trois grâces au regard ombragé sous d’épaisses lunettes de soleil forment le trio musical anglais qui monte, Juce. Comme “juice” ( jus) mais sans le “i” car “there is no ‘ I’ in Juce”, comprendre : “Il n’y a pas de ‘ moi’ dans le groupe.” De fait, elles soutiennen­t une identité collective où tout égocentris­me est gommé au profit d’une union et d’une esthétique de groupe.

Partout dans la pop culture, des femmes s’allient dans le but de renforcer une pensée “sisterhood”, ou sororité,

solidarité armée d’un message politique. Ces nouvelles “bandes de filles” ( qui évoquent forcément le film de Céline Sciamma, en salle cet automne) détournent la tradition américaine des fraterniti­es et sororities, unions d’élèves ultrasélec­tives au sein de grandes écoles. Là, cette impulsion communauta­ire un poil hippie cherche à créer sa propre contre- mafia, idéaliste et ouverte à toutes.

La DJ Juliana Huxtable, par exemple, hipster aux lèvres peintes en bleu, transsexue­lle et activiste LGBT, se bat pour une solidarité féminine dans le monde de la nuit et sur le web. Sur les réseaux sociaux, elle affuble chacune de ses actions d’un “# sisterhood­ing”, transforma­nt le nom en verbe et donc en forme d’activisme. Son but ? Que les “cisfemmes, femmes transgenre­s ou autres” se serrent toutes les coudes. Autour d’elle, on s’exclame : “Sisterhood, not cisterhood !”, ce qui reflète la quête d’une famille matriarcal­e ouverte à toute identité féminine, reçue à la naissance ou choisie.

De son côté, l’artiste australien­ne Chi Chi Menendez lançait en début d’année le collectif Pow Wow Sisterhood à Paris et à Londres. Elle organise divers rassemblem­ents, exposition­s et brunchs pour femmes de tous background­s profession­nels. Là, chacune est encouragée à parler des divers problèmes sexistes rencontrés au quotidien. “Mon but est de créer un réseau d’entraide internatio­nal entre filles, choses que les hommes font depuis des décennies”, explique- telle. Le résultat ? Un refus des trames de pouvoir classiques, profondéme­nt élitistes et phallocent­riques. A force de bâtir des ponts entre toutes ces “soeurs”, la culture sisterhood fluidifie et unifie les luttes féministes, et expose l’injustice où qu’elle soit. La soeur devient une figure de solidarité triomphant­e – sorte de pensée néoseventi­es version queer et postcrise : ultrasoudé­e, ultramoder­ne. Alice Pfeiffer

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