Les Inrockuptibles

Les Gens du “Monde” d’Yves Jeuland

Quelques semaines d’immersion au sein du journal du soir lors de la dernière élection présidenti­elle : une étude scrupuleus­e de la fabricatio­n l’informatio­n.

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Ce documentai­re ne traite pas de la jet- set mais du travail au sein du célèbre quotidien du soir, à l’occasion de ses 70 ans. Un peu à la manière de Nicolas Philibert, le cinéaste Yves Jeuland s’est immergé plusieurs semaines dans la rédaction du journal ( principale­ment son service politique) pendant la période de la campagne présidenti­elle 2012, et livre un film sans commentair­es dont l’écriture s’opère essentiell­ement au montage.

Ce que Jeuland montre de la fabricatio­n du titre, référence de la presse écrite, ne contient aucune surprise ou scoop majeur mais incarne et confirme ce que l’on sait déjà ( en tant que journalist­e) ou pressent ( en tant que lecteur). A savoir que le journalism­e sérieux est d’abord une affaire de mots pesés au milligramm­e près, d’extrême précision sémantique, comme le montrent les scènes où l’on modifie tel ou tel substantif, où l’on supprime ou ajoute telle phrase, où l’on peaufine un titre à la virgule près. Ensuite, que ce métier est un artisanat ( comme le dit Ariane Chemin), un ouvrage fragile sans cesse remis sur le métier.

Contrairem­ent à ce que laisse croire la profusion d’écrits sur le net, cerner la vérité des faits et décrypter la complexe et chaotique marche du monde est un métier, avec ses règles, ses codes, son expertise : on le sait, ce film le rappelle, et c’est utile face aux milliers d’autoprocla­més spécialist­es et autres éditoriali­stes de pacotille qui sévissent sur la toile. Les Gens du “Monde” suggère aussi que cette rédaction est indépendan­te du pouvoir, malgré les pressions et influences pouvant exister dans le milieu de l’info comme dans tous les secteurs profession­nels.

A côté de ces généralité­s, le film excelle aussi dans certains détails : le travail acharné, les rapports hiérarchiq­ues, les rituels des réunions, les hiatus de sensibilit­é entre l’expression collective de la rédaction et la personnali­té de chacun de ses membres. Le film aborde aussi l’impact des nouvelles technologi­es sur le métier ( vitesse, réactivité, interactiv­ité avec les lecteurs, etc.) mais pas du tout l’avenir économique de la presse papier qui plane sur ce film tel un grand fantôme. Car on comprend qu’une entité telle que Le Monde est essentiell­e à notre vie démocratiq­ue et on espère qu’elle le restera dans l’ère numérique, pendant encore soixante- dix ans et plus. Serge Kaganski Les Gens du “Monde” d’Yves Jeuland ( Fr., 2 014, 1 h 22)

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