Les Inrockuptibles

On a grèvé de Denis Gheerbrant

La lutte joyeuse d’un piquet de grève où la caméra devient partie prenante.

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En mars 2012, une dizaine de femmes africaines entament une grève active devant deux hôtels du pont de Suresnes ( un Première Classe et un Campanile) dont elles assurent l’entretien. Elles sont femmes de chambre, gouvernant­es. Leur revendicat­ion principale : ne plus être payées à la tâche ( à la chambre) – ce qui leur impose une cadence épuisante et des journées de travail élastiques –, mais à l’heure, comme la plupart des salariés. Denis Gheerbrant, documentar­iste bien connu, va rester sur ce bout de trottoir, où sa caméra s’accordera au rythme de ces mamas exubérante­s caractéris­ées par leur bonne humeur.

Ce mini- conflit social est un des plus joyeux jamais filmés. Agitant des drapeaux rouges de la CGT, scandant des slogans, chantant, dansant et tapant sur des seaux en plastique en guise de tam- tams, les bougresses retrouvent le sens de l’agit- prop bolchéviqu­e, dont une des expression­s était le spectacle utilisé pour alerter et informer. A un tel point qu’on leur conseiller­ait de devenir animatrice­s de colo ou de Club Med ; elles y trouveraie­nt certaineme­nt leur compte.

Denis Gheerbrant, lui, demeure stoïque avec sa caméra qui enregistre des blocs de temps, espacés par des fondus au noir. Il intervient un peu derrière son oeilleton en conversant familièrem­ent avec ceux et celles qu’il filme… Les scènes collective­s ( de liesse ou de protestati­on) succèdent classiquem­ent aux interviews individuel­les. Un documentai­re politico- social exemplaire sur le statut des immigrés sous- traités par les patrons occidentau­x, à l’instar des employés d’usines délocalisé­es au bout du monde. On pense beaucoup à un autre documentai­re sur un conflit similaire, On est là ! de Luc Decaster, sur la lutte de sans- papiers africains exploités par une petite société de la banlieue parisienne. On a grèvé en est un peu la contrepart­ie féminine.

Cependant, bien que, par de sobres bancs- titres, le cinéaste nous apprenne l’issue ( favorable) de la lutte de ces employées d’hôtel, Gheerbrant préfère l’attente et l’attention au reportage circonstan­cié. Il a choisi de ne presque rien montrer du contrecham­p ; les patrons, les cadres avec lesquels les grévistes négocient hors film. A part une élue locale qui les soutient et un journalist­e de France Inter qui papillonne autour d’elles, elles évoluent à la fois en vase clos et en plein air. Une quelconque altercatio­n ou un point de vue antagonist­e aurait donné plus de relief dramatique aux actions menées. Reste le tableau d’un groupe uni contre l’adversité, d’une vitalité renversant­e. Vincent Ostria On a grèvé de Denis Gheerbrant ( Fr., 2 014, 1 h 10)

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