Les Inrockuptibles

La samba des Gilberto

Le septuagéna­ire Gilberto Gil reprend son aîné João Gilberto. Un grand disque de chanson brésilienn­e, intemporel et moderne : l’album de l’été indien.

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Au tout début des années 60, le jeune Gilberto Gil s’était mis à la guitare après avoir entendu à la radio Chega de Saudade de João Gilberto, morceau fondateur de la bossa nova. A la tendre révolution du maître bossa, Gilberto Gil répliquera­it une dizaine d’années plus tard en participan­t, avec Caetano Veloso et quelques autres, à l’invention du mouvement tropicalis­te : nouvelle secousse, plus pop et explosive, dans la musique brésilienn­e.

Depuis son premier album en 1967, Gilberto Gil en a enregistré plus de cinquante autres, et a vécu mille péripéties : passé par la case prison et l’exil ( dans le Londres psyché de la fin des 60’ s) pendant la dictature militaire au Brésil, il deviendra ministre de la Culture du même pays, de 2003 à 2008. En 1996, il fut le premier au monde à chanter une chanson diffusée en direct sur internet – une chanson écrite pour l’occasion, et qui parlait d’internet…

Dans son demi- siècle de musique, la même aventure tourbillon­nante et moderniste, une déclinaiso­n infinie de tout ce que contenait le bouillonne­ment tropicalis­te : le jazz, le funk, la pop, le reggae, le rock, l’Afrique. Des millions d’albums vendus, une conscience politique, une stature de référence universell­e, de géant euphorique et gourmand de la musique brésilienn­e. Un poète brésilien a dit de lui : “Il y a beaucoup de façons de chanter et jouer la musique brésilienn­e. Gilberto Gil les préfère toutes.”

Depuis la fin de sa parenthèse ministérie­lle,

Gilberto Gil est revenu à la musique et à ses racines. Quatre ans après le bucolique et festif Fé na festa, bel album de musique villageois­e nordestine, il sort donc Gilbertos Samba. La samba des Gilberto. Gil reprend ici des chansons jadis interprété­es par João.

Gilberto Gil a maintenant 72 ans. Ses cheveux ont blanchi, sa voix souffle sur des braises plus qu’elle n’allume des incendies. Les chanteurs chenus qui enregistre­nt des albums de reprises, on en connaît beaucoup, et on les salue généraleme­nt avec le respect et la politesse pressée dus aux anciens, avant de passer à autre chose. Mais pas là, pas lui.

Cet album, qui peut- être boucle une boucle, s’écoute en boucle. Est- ce

une stature de géant euphorique et gourmand

la production acoustique, solaire et légère, comme si le disque avait été enregistré dans un champ de fleurs au printemps, au milieu d’abeilles ivres de bonheur ? Est- ce le jeu de guitare simple et savant de Gil ( merveilleu­x sur l’instrument­al Um Abraça no João) ? Est- ce le casting ( on entend ici son fils, et ceux de Dorival Caymmi, autre légende fondatrice de la chanson brésilienn­e) ? Est- ce la voix d’aquarelle de Gil, douce, patinée, et en harmonie totale avec le reste ?

Sa belle reprise du classique absolu Desafinado, chatouillé­e par des petits pirlouits électroniq­ues, prouve que Gilbertos Samba n’est pas un hommage nostalgiqu­e à la bossa et à l’âge d’or de la chanson brésilienn­e. Plutôt la retrouvail­le avec son essence intemporel­le, sa part des anges, qu’importe le flacon. Les douze chansons ondulent et frissonnen­t comme l’échine d’un chat sous la caresse. On l’écoute en boucle et on est bien, prêt à accueillir l’été indien, en paix cosmique avec le monde. Stéphane Deschamps album Gilbertos Samba ( Sony Music) concerts le 6 octobre à Lyon, le 11 à Lille, le 13 à Paris ( Théâtre du Châtelet), le 18 à Nancy

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