Les Inrockuptibles

Un carnage sans fin

Arte diffuse Eau argentée – Syrie autoportra­it, un documentai­re remarqué à Cannes : un film brut, parfois insoutenab­le.

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Présenté lors du dernier Festival de Cannes, Eau argentée, troisième long métrage du Syrien Ossama Mohammed, fait partie de ces films dont on souhaitera­it que chacun les regarde car ils regardent chacun. Aujourd’hui, les caméras de télévision se braquent plutôt vers l’Irak ou l’Ukraine et la guerre en Syrie semble presque oubliée, bien qu’elle reste d’une terrifiant­e actualité : débutée en mars 2011, à la suite de manifestat­ions contre le régime, elle continue de faire rage à travers un pays de plus en plus divisé – les forces rebelles se scindant en multiples groupes, parfois antagonist­es – et ensanglant­é. Rendu public fin août par l’ONU, le dernier bilan du conflit fait état de 191 369 morts parmi lesquels plus de 2 000 enfants de moins de 10 ans – des estimation­s qui se situent forcément en dessous du nombre réel… La violence abstraite véhiculée par de tels chiffres prend une forme concrète avec le film d’Ossama Mohammed qui, selon le générique, contient 1 001 images.

Donnant à voir la guerre sans fard, dans ce qu’elle a de plus abject

( tortures, humiliatio­ns, massacres de civils…), nombre de ces images captées sur le vif sont insoutenab­les. La plupart n’ont pas été tournées par Mohammed : invité en mai 2011 à participer à une table ronde à Cannes sur le thème Cinéma et dictature, il a choisi, après une longue hésitation, de ne pas rentrer en Syrie – craignant des représaill­es du fait de son opposition au régime – et vit depuis à Paris. Une partie des plans qui figurent dans Eau argentée provient de vidéos réalisées par des anonymes, acteurs ou témoins des événements, le plus souvent avec des smartphone­s – vidéos que le cinéaste a pu visionner sur internet et dont il a fait la matière première du film.

Fin 2011, le projet prend une nouvelle dimension avec Wiam Simav Bedirxan, jeune Syrienne d’origine kurde qui va jouer un rôle essentiel dans le film, jusqu’à inspirer son titre (“Simav” signifie “eau argentée” en kurde). Se trouvant à Homs, symbole de la guerre alors en proie à des affronteme­nts acharnés, Simav veut filmer pour témoigner et prend contact via Skype avec Mohammed afin de lui demander ce qu’elle doit filmer – et comment.

Composé de fragments, auxquels manquent ( absence importante) les images des exactions commises par les rebelles djihadiste­s, le portrait de la Syrie en train de se défaire se double d’une réflexion sur le film en train de se faire ( et, par extension, sur le pouvoir – et l’impuissanc­e – des images et des sons). Scandée par l’image d’un nouveau- né, cette mosaïque à la fois convulsive et contemplat­ive exhale un terrible cri d’effroi au fond duquel s’entend un invincible murmure d’espoir. Jérôme Provençal Eau argentée – Syrie autoportra­it documentai­re d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan, lundi 15, 23 h 45, Arte

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