Le saigneur de l’acier
Un portrait de Lakshmi Mittal, homme d’affaires et milliardaire sans scrupules. Parmi ses victimes : le site sidérurgique de Florange.
Dans le prolongement direct du très remarqué Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde, Jérôme Fritel poursuit son exploration méthodique de l’envers du décor contemporain avec Mittal, la face cachée de l’empire, documentaire dont la rigueur n’a d’égale que la noirceur. Entre ces deux enquêtes dans les sphères de la haute finance, il existe un lien étroit : Lakshmi Mittal, le richissime homme d’affaires indien au coeur de ce nouveau film, siège depuis 2008 au conseil d’administration de Goldman Sachs.
Originaire de la caste des Marwari, des commerçants qui fondent toute leur vie sur la recherche du profit, Mittal – aujourd’hui âgé de 64 ans – a bâti sa fortune dans le secteur de la sidérurgie en usant d’un redoutable mélange de cynisme et d’opportunisme, le tout nappé d’un vernis public courtois et aimable lui permettant de convaincre en douceur la plupart de ses interlocuteurs. Se donnant d’abord à voir comme l’homme providentiel, capable de redynamiser l’économie locale, il s’est fait une spécialité du rachat d’entreprises sidérurgiques mal en point et de leur exploitation à outrance – une sorte de Bernard Tapie à l’échelle mondiale…
Après s’être aguerri en Indonésie et au Mexique, il s’est lancé à la conquête de l’Europe de l’Est dans les années 90, voyant dans la chute du rideau de fer une chance immanquable d’étendre son empire d’acier. Ce coup de poker va s’avérer plus que payant et, devenu rapidement l’un des dix plus gros milliardaires de la planète ( autant dire l’un des dix hommes les plus puissants), il va s’attaquer à l’Europe de l’Ouest dans les années 2000 en rachetant Arcelor – le deuxième groupe sidérurgique mondial – en 2006.
C’est à partir de là, toutefois, que va s’amorcer son déclin, sous l’effet de la crise économique généralisée ( entraînant la fermeture brutale de plusieurs sites, dont celui de Florange en Lorraine), et que va se révéler son vrai visage : celui d’un vautour aux manières de velours, obnubilé par la rentabilité à ( très) court terme et prêt à toutes les manigances pour y parvenir. S’il a pris pas mal de plomb dans l’aile et perdu beaucoup d’argent ces dernières années, le géant de l’acier reste un homme très riche et influent. En filigrane du portrait que le film, très bien documenté et structuré, brosse de lui transparaît l’implacable mécanisme du capitalisme, ce système qui tient l’humain pour corvéable et négligeable à merci. J. P. Mittal, la face cachée de l’empire documentaire de Jérôme Fritel, mardi 16, 20 h 50, Arte