Camille Henrot
Lion d’argent de la Biennale de Venise 2013 avec son histoire de l’univers en treize minutes, l’artiste française Camille Henrot, désormais installée à New York, déploie une lecture encyclopédique et déhiérarchisée du monde.
Tu as dit un jour que tu aimais
“les malentendus et la posture de l’ignorant”…
Les savoirs se présentent comme des autorités, or ce qui domine ma pratique, c’est la curiosité. J’aime assez l’idée d’être toujours étranger à son propre domaine de spécialisation. C’est une liberté de l’artiste de n’être pas tenu d’avoir raison et il doit user de cette liberté de penser de manière déraisonnable. Aujourd’hui, on conçoit de moins en moins l’histoire comme une vérité ou une construction mais plutôt comme un espace que l’on peut parcourir, analyser, feuilleter et dans lequel peut surgir le désordre. Quel rôle devront jouer les artistes dans les prochaines années ? Je n’imagine pas un changement radical entre le rôle que les artistes vont jouer dans le futur et celui qu’ils ont joué dans le passé. La seule chose qui, peut-être, serait un changement, c’est la difficulté, à l’échelle individuelle, de conquérir un espace d’intimité. Que ce soit pour les artistes ou pour les individus, ce qui disparaît avec cet espace d’intimité, c’est aussi un espace de liberté et d’imprécision, un espace où les choses peuvent encore changer et où elles existent en dehors du langage et de l’image. Or la création artistique, c’est précisément un jaillissement hors du langage – ou en tout cas l’invention d’un langage en soi. L’artiste doit pouvoir offrir un espace situé hors des contingences réelles mais qui en même temps les reflète. L’espace de l’exposition et de l’oeuvre, que l’artiste propose, devrait être un espace dans lequel il soit possible (à l’échelle individuelle, pour les spectateurs) de reconstituer une expérience personnelle, une expérience qui fortifie l’idée du subjectif et la possibilité d’un espace intime. L’expérience commune au travers du monde numérique est une expérience de l’anxiété où le rapport avec la société est extrêmement permanent et direct. Resituer un espace dédié à la méditation et à la contemplation est un projet artistique en soi. propos recueillis par Claire Moulène