Les Inrockuptibles

Mezzanotte de Sebastiano Riso

La dérive d’un ado sicilien dans la jungle queer de Catane, Sicile. Un opéra glam en puissance.

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Dans un espace indéfini et obscur, une tête apparaît derrière des fenêtres informes. Sur l’une d’elles, ce personnage dessine une bouche au lipstick. Puis on distingue mieux ce jeune androgyne roux, torse nu, à la voix féminine. Susurrant un negro spiritual (Motherless Child), il bouge dans cet espace, allume des spots. On voit mieux ce qui l’entoure : un collage primitif de photos de stars du glam rock, dont David Bowie en papier découpé, suspendu comme une marionnett­e.

Le prologue donne le ton. Il synthétise l’esprit et l’univers du héros, Davide, justement (vrai prénom de l’acteur), et aussi du film. Ça pourrait être une descente aux enfers dans la jungle queer de Catane en Sicile, mais c’est surtout une aventure sensuelle et sentimenta­le au lyrisme froid. Une rareté dans le cinéma italien d’aujourd’hui. Davide fuit sa famille, notamment son père sévère, homophobe violent. Il est la raison de la fugue qui mène Davide dans un parc, refuge d’une faune homo mi-prostituée, mi-SDF. L’ado de 14 ans y trouvera un semblant de famille.

Ce qui est remarquabl­e, c’est la façon dont Sebastiano Riso, cinéaste trentenair­e, fait le lien, non seulement avec une tradition baroque du cinéma italien, mais aussi avec une époque, les seventies débridées – dont les Italiens ne semblent jamais être tout à fait sortis. Mezzanotte n’est cependant pas un film rétro, mais une oeuvre sous influence glam/trash/pop. Les premières séquences dans les bas-fonds de la ville, dans le quartier misérable où les gays ou trans font le tapin, évoquent un mélange des Vitelloni (bande de jeunes désoeuvrés) et du Satyricon (ambiguité sexuelle, archaïsme glauque). Bien sûr, c’est aussi à Pasolini que cette chronique de rue sauvage se réfère. Davide Capone Mais le film pousse plus loin du côté du décorum – costumes, maquillage­s et posture(s) – pour exprimer le rapport des personnage­s à la chanson et à la musique. D’où cette scène récurrente, sordide et sublime, où Davide et un camarade dansent, chantent et se dénudent chez un vieux discophile pervers, qui assimile les garçons à des papillons, dont il épingle les photos au mur, tout en passant un collector de variété qui l’excite presque autant que la vision des jeunes éphèbes. L’ambiguïté et la confusion de la scène condensent l’ambiance du film, pulsé par la nostalgie et la sensualité. Davide est un Tadzio réel, moins éthéré que la sylphide viscontien­ne. Laid/beau, fille/ garçon, innocent/perverti… “Animal grace”… Lady Stardust. Vincent Ostria Mezzanotte de Sebastiano Riso, avec Davide Capone (It., 2014, 1 h 34)

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