Vélasquez en son miroir
Une biographie fictionnelle de l’auteur des Ménines, qui se déploie comme une profonde réflexion sur la représentation, par les Espagnols Santiago García et Javier Olivares.
Dans la profusion de bandes dessinées retraçant la vie de peintres célèbres, Les Ménines se distingue. Cette biographie de Vélasquez paraît certes en France au moment opportun, alors que le Grand Palais consacre une rétrospective au peintre espagnol. Mais elle n’est ni racoleuse, ni scolaire, ni anecdotique. Présenté avec modestie comme une oeuvre de fiction, ce roman graphique richement documenté retrace avec précision la vie du maître. Il a pour point central Les Ménines, oeuvre représentant l’infante d’Espagne mais également le peintre en plein travail, ainsi que le couple royal, dans un miroir. Ce tableau à la composition mystérieuse, sujet à de multiples interprétations, pose la question de la représentation picturale – une question qui traverse tout l’album de Santiago García et Javier Olivares.
Le fil fictionnel des Ménines est constitué par une enquête des chevaliers de l’ordre de Saint-Jacques qui, deux ans avant la mort de Vélasquez, veulent déterminer s’il est digne d’intégrer leur ordre. Cette trame permet aux auteurs de donner à leur récit une structure non linéaire, fragmentée, dynamique. La vie du peintre – sa formation par ses maîtres, son amitié avec Rubens, sa découverte de la peinture italienne, son travail de peintre de cour et d’acquéreur d’oeuvres d’art pour le roi… – est ainsi racontée par certains de ses contemporains, amis, disciples, dont on découvre au passage la vie. Elle est également expliquée par le prisme de digressions sur d’autres peintres, écrivains ou philosophes ayant été influencés par Vélasquez, de Goya à Picasso (qui peignit près de soixante toiles sur le thème des Ménines), Dalí ou Michel Foucault.
La narration fait ainsi des allers et retours dans le temps, entrecoupée d’anecdotes sur Philippe IV, mécène et protecteur du peintre. Les auteurs adaptent le style graphique en fonction du récit. La plupart du temps stylisé, le trait peut se faire expressionniste (le passage sur la mort de l’Espagnolet), réaliste, cubiste. Le découpage des pages est varié et intelligemment mis au service du scénario – comme la saisissante double page où on voit, dans la partie haute, Vélasquez de dos contemplant Le Christ lavant les pieds de ses disciples du Tintoret et dans la partie basse, ses yeux, perçants, plein de compréhension.
Santiago García et Javier Olivares livrent une biographie passionnante qui est aussi une très belle réflexion sur la représentation, où vérité historique, interprétation et imagination se complètent avec subtilité. Anne-Claire Norot Les Ménines (Futuropolis), traduit de l’espagnol par Hélène Dauniol-Remaud, 184 pages, 25 €