Les Inrockuptibles

Ils sont fous, ces Grecs !

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C’est tout de même exaspérant, ces gens qui se permettent de vous donner des leçons de démocratie ! Comme si c’était eux qui l’avaient inventée… En choisissan­t l’option référendum pour répondre au blocage des négociatio­ns avec les “institutio­ns”, Aléxis Tsípras a d’ores et déjà réussi un coup de maître et donné une leçon de politique à ses interlocut­eurs de Bruxelles ou Washington. Ce référendum “ferme la porte à la poursuite des discussion­s”, s’étrangle le Néerlandai­s Jeroen Dijsselblo­em, patron de l’Eurogroupe, qui ne peut même pas envisager que, muni d’un mandat démocratiq­ue, on fasse le choix de retourner devant les électeurs pour leur demander leur avis, quand le mandat en question ne peut plus qu’être renié ou travesti devant une fin de non-recevoir. Pour lui, l’organisati­on de ce scrutin envoie “un message négatif aux Grecs”. Devant un tel aveu, aussi benoîtemen­t formulé, Yánis Varoufákis n’a pas tort d’ironiser sur ces technocrat­es qui paraissent découvrir que l’idéal démocratiq­ue est un concept qui relève de l’émancipati­on des peuples et non de leur soumission à des puissances bien décidées à leur “tordre le bras”, pour reprendre la charmante expression en vogue à Bruxelles à propos de ces fichus Grecs.

Pris au dépourvu par l’initiative politique de Tsípras, qui a l’immense mérite de les révéler pour ce qu’ils sont, des idéologues maîtres chanteurs qui ne supportent pas que quiconque ose contester leurs dogmes néolibérau­x, les membres de l’Eurogroupe geignent que l’accord était en vue, à portée de main, et que ces Grecs de Syriza sont des fous furieux qui s’apprêtent à rajouter du malheur à leur peuple. A leurs risques et périls, et sans que quiconque ne soit capable de dire ce qu’il va se passer maintenant, ils viennent effectivem­ent de donner une leçon de démocratie à l’Europe du libéralism­e mal tempéré. Qui sent bien que cette affaire grecque pourrait aussi avoir un coût politique, en plus de la tourmente économique qu’elle déclencher­a sans doute dans la zone euro, en cas de “Grexit”, désormais tout proche. Mais si les Grecs sortaient et s’en sortaient, vaille que vaille, en ayant tenu tête à ceux qui exigeaient qu’ils pressurent encore un peu plus un corps social déjà à l’agonie – avec un chômage à 27 % et des salaires réduits de moitié ? Ce serait un bien mauvais exemple.

Sur Politis.fr (le 27 juin), le ministre grec de la Sécurité sociale, Dimítris Stratoúlis, résume parfaiteme­nt comment le bras-de-fer est devenu idéologiqu­e depuis l’accession au pouvoir de Syriza et excède de beaucoup les tensions naturelles entre un Etat surendetté et ses créanciers : “Si on réussit avec notre programme, les créanciers devront admettre qu’ils se sont trompés de politique ces cinq dernières années. Ils ne sont pas près de le faire. Au contraire, ils continuent avec la politique d’austérité pour plusieurs raisons : la première est qu’ils ne veulent pas que la Grèce en réussissan­t ‘contamine’ les autres pays européens comme l’Espagne de Podemos, l’Irlande du Sinn Féin et toutes les autres forces de gauche dans le reste de l’Europe. Ils veulent, de leur point de vue, tuer le serpent dans l’oeuf. La seconde raison de leur entêtement est que les politiques d’austérité servent des intérêts spécifique­s de multinatio­nales et de grands pays européens, essentiell­ement l’Allemagne. En nous forçant au nom du remboursem­ent de la dette à vendre pour une bouchée de pain nos biens, nos services publics, les entreprise­s publiques d’intérêt stratégiqu­e et social, ils permettent à leurs propres sociétés de les racheter à très bas prix. Troisième raison, en forçant Syriza à capituler avec un accord humiliant, ils pensent qu’ils auront convaincu le reste de l’Europe que l’austérité est une voie à sens unique.”

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Aléxis Tsípras à la tribune du Parlement grec, Athènes, le 28 juin

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