“l’investigation économique peut être une aventure”
La journaliste Elise Lucet nous parle de la limitation accrue du droit d’informer, de Philip Morris, de Monsanto et de la généralisation du lobbying dans la démocratie.
les docs en notre possession pour qu’il puisse répondre. Avec la directive, il aurait pu saisir un magistrat et exercer une censure préventive pour empêcher sa diffusion. D’autre part, les sources et lanceurs d’alerte, des gens très courageux, auront peur de dénoncer les dérives si cette directive est adoptée.
Que risquent-ils ?
Ils prennent déjà des risques considérables. Généralement, ils perdent leur boulot, n’ont plus de revenus. Avec la directive, Hervé Falciani serait poursuivi par HSBC et finirait peut-être même en taule. Après avoir dénoncé les dérives de sa banque concernant l’évasion fiscale, Falciani est aujourd’hui au RSA, et maintenant on lui mettrait au-dessus de la tête une menace de plusieurs centaines de milliers d’euros ? Qui oserait encore dénoncer ce scandale ?
Quelles affaires importantes ne pourraient plus être dévoilées selon vous ?
L’affaire HSBC donc, ainsi que celles d’UBS, de Monsanto, du Mediator. Nos émissions sur Philip Morris ou les téléphones portables n’existeraient pas. Avec le collectif, on n’est pas en train de défendre une petite corporation de journalistes mais le droit à l’information : 350 000 personnes ne s’y sont pas trompées. La directive touche à la démocratie. Sous prétexte de protéger les entreprises, on musèle ceux, de l’intérieur et de l’extérieur, qui pourraient faire des révélations.
Des lobbies industriels et économiques ont-ils poussé dans ce sens ?
Ça oui ! Plusieurs multinationales comme Alstom ou Air Liquide ont été reçues par la commission qui a rédigé la directive. Aucune PME n’a été reçue. Les journalistes ne l’ont été que parce qu’on l’a demandé. On a appris que le texte avait été écrit par les cabinets de conseil des plus grandes multinationales. Objectivement, c’est inquiétant.
Le 16 juin, cette directive de la Commission européenne, destinée selon ses partisans à lutter contre l’espionnage industriel, a reçu le feu vert de la commission juridique du Parlement européen. Elle sera soumise aux députés européens à l’automne. Les 350 000 signatures peuvent-elles influencer les parlementaires ?
Les garde-fous ne sont pas suffisants. Les amendements sont des patches. On demande son retrait ou un travail de réécriture important. En Allemagne, et en Espagne, ça commence à bouger. On essaie de mobiliser les journalistes et les parlementaires européens. On va déposer une pétition européenne.
A la rentrée, vous partez pour la quatrième saison de Cash investigation. Sa forme dynamique – voix off, images d’archives et commentaires ironiques – vous a-t-elle été inspirée de récits autres que journalistiques comme les séries ou le cinéma ?
“ce n’est pas parce qu’on parle de trucs rigoureux qu’il faut que ça soit chiant”
On voulait une émission différente sur le ton. L’écriture est très collective, on souhaite que l’émission soit regardée comme un film. Les monteurs ont un rôle très important. L’investigation économique peut être une aventure et être racontée comme telle. Ce n’est pas parce qu’on parle de trucs sérieux, rigoureux, qu’il faut que ça soit chiant ou triste.