Les Inrockuptibles

Over the rainbow

Après la légalisati­on du mariage entre personnes du même sexe par la Cour suprême des Etats-Unis, le danger de la démobilisa­tion est réel. Il reste pourtant bien des discrimina­tions à combattre.

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La Cour suprême a le sens du timing : la veille des grandes Gay Prides de Los Angeles et San Francisco, elle a diffusé l’arrêt long d’une centaine de pages légalisant le mariage gay dans les cinquante Etats de l’Union. L’arrêt, comme toute décision de justice, s’est appliqué sans délai. Les quatorze Etats qui avaient passé des lois précisant que le mariage s’entendait entre personnes de sexe différent ont donc vu leurs textes annulés.

La première conséquenc­e de cette remarquabl­e décision nous concerne : après la légalisati­on américaine et le référendum irlandais, les forces qui s’étaient opposées en France au mariage gay sont durablemen­t affaiblies, sinon marginalis­ées. La Manif pour tous a pour modèle d’organisati­on et d’action le Tea Party, c’est-à-dire la droite ultraconse­rvatrice américaine. L’idée est de mobiliser des militants pour peser sur l’élection des candidats et les programmes républicai­ns. En France, cette même stratégie a plutôt bien fonctionné. Elle n’a certes pas pu empêcher l’adoption du mariage gay mais elle a durci le discours de Nicolas Sarkozy et a désormais un “représenta­nt“permanent en la personne de Laurent Wauquiez.

La deuxième conséquenc­e de cette décision est plus étonnante et se résume en deux mots : et après ? Après, il reste bien à veiller à l’applicatio­n stricte des conséquenc­es de cette nouvelle donne. Aux Etats-Unis, beaucoup plus qu’en France ou en Europe, le mariage est une institutio­n très respectée. Les Américains se marient beaucoup (et divorcent beaucoup). Un chiffre suffit à résumer cette différence : aux EtatsUnis, un quart des enfants naît hors mariage contre une bonne moitié en France. Cet écart s’explique simplement : se marier aux Etats-Unis entraîne une série d’avantages sociaux et fiscaux considérab­les.

Les groupes de pression gay se préparent donc à défendre les couples homosexuel­s mariés

contre toute discrimina­tion à l’embauche, à la location, à la retraite, etc. C’est un combat noble et utile mais c’est un combat de cabinets juridiques. Difficile de mobiliser sur des convention­s collective­s ou des baux de location. Les prochaines Gay Prides risquent donc de perdre leur allant politique. Il reste, bien sûr, le soutien à des minorités sexuelles encore maltraitée­s, à commencer par les transgenre­s pour qui presque tout reste à faire. Il reste aussi à exprimer une solidarité forte avec les homosexuel­s opprimés dans une partie du monde.

Mais le danger de la démobilisa­tion est réel, d’autant qu’une des conséquenc­es inattendue­s de l’adoption du mariage gay est d’avoir précisé les chiffres. Personne ne savait vraiment quelle était la part des homosexuel­s dans la population avant la légalisati­on du mariage gay. Les plus “optimistes” variaient entre 5 et 10 %. Après dix années de statistiqu­es, les chiffres sont désormais connus. Les mariages gays représente­nt environ 2 % de l’ensemble des unions célébrées en Espagne, en Belgique ou dans les pays scandinave­s. Or il n’y a pas plus ni moins de raisons de se marier lorsqu’on est gay que lorsqu’on est hétéro.

Ces chiffres peuvent donc être extrapolés pour l’ensemble de la population. On m’objectera que les gays sont concentrés dans les grandes villes et qu’ils peuvent, du coup, peser sur certaines élections. C’est vrai. Mais cela change-t-il vraiment la donne ? Les gays sont désormais une minorité visible, comptée et banalisée... comme les autres. Pour continuer à peser, il leur faudra modifier la nature de leur mobilisati­on. Peut-être en se rapprochan­t d’autres minorités, pour faire nombre en somme. Anthony Bellanger

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La Maison Blanche, le 26 juin

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