De la bombe de balle
L’agence de recherche de l’armée américaine a mis au point une balle de fusil qui ne rate jamais sa cible. Mais comment peut-on être sûr à 100 % de mettre dans le mille ?
Sa main se crispe sur la crosse, mais il laisse pour l’instant le Smith & Wesson au fond de son fourreau. En face, son adversaire, jambes écartées, cherche le meilleur appui du bout de ses bottes, il assouplit ses doigts en malaxant l’air, fait craquer son cou et crache sa chique à deux mètres de lui. La poussière vole, le premier coup de midi sonne à l’église du village. Feu ! Les deux sont morts. Une balle en plein coeur. A chaque fois, c’est la même chose. Encore deux morts.
Heureusement, cette scène ne s’est que très rarement produite. Et pour cause : le western ne connaissait pas l’électronique de pointe et les cow-boys, avec leurs antiques pétoires ne faisaient pas mouche à tous les coups, sinon l’Amérique aurait vite été dépeuplée. Le département de recherche de l’armée US, la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency) a présenté sa balle “intelligente” : le principe du missile à tête chercheuse appliqué aux armes à feu, aux snipers en particulier.
Télécommandée, cette balle de taille normale, concentré d’électronique, peut infléchir sa course si la cible bouge, accélérer et compenser la force du vent si une rafale la fait dévier de son objectif. Pour s’assurer de l’efficacité du projectile, les chercheurs ont équipé un tireur d’élite. Evidemment, malgré la cible mouvante, il atteint sa cible. La routine. Mais le résultat est le même si le fusil est placé dans les mains d’un novice. Quoi qu’il arrive, la balle atteint sa cible, dans le mille.
Ce n’est jamais une bonne nouvelle de savoir qu’une arme tuera plus efficacement. Et comme le suggérait Boris Vian, il n’est jamais bon de laisser la science aux mains des militaires, c’est comme laisser la littérature aux mains des imbéciles. Mais on peut y trouver des applications plus pacifiques. Le système de guidage du ballon sera déclenché lors des matches de foot un peu trop mous pour faire courir les joueurs un peu plus vite.
En piratant le système, on pourra peut-être sauver quelques grives ou faisans
qui échapperont aux chasseurs. Ces derniers, en revanche, feront mouche à tous les coups, y compris sous l’effet de l’alcool. Mais de leur propre aveu, la chasse aura perdu de son attrait, de son charme et de sa poésie. Idem pour le tir à l’arc ou la pétanque. A quoi bon s’appliquer, tirer le bout de la langue et ajuster son tir, si on ne rate jamais ?
On laissera donc aux militaires l’usage fastidieux et sans surprise des armes à feu. Tant qu’il faudra quelqu’un pour presser la détente en tout cas. Espérons que cette balle intelligente ne prenne pas bientôt de sa propre initiative la décision de tirer. Nicolas Carreau illustration Vincent Boudgourd pour Les Inrockuptibles