Les Inrockuptibles

Tale of Tales de Matteo Garrone

Le réalisateu­r de Gomorra se risque au blockbuste­r féerique à effets spéciaux mâtiné de farce horrifique. Et touche une certaine beauté dans sa surcharge.

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Après son immersion dans les arcanes de la mafia napolitain­e, pour laquelle il a reçu le Grand Prix en 2008 (raflé aussi en 2012 avec Reality), on n’aurait pas parié sur un come-back du réalisateu­r de Gomorra en aficionado du conte fantastiqu­e. C’est pourtant cette voie inattendue qui a valu à Matteo Garrone un concert d’éreintemen­ts – et aussi, heureuseme­nt, quelques louanges – lors du dernier Festival de Cannes.

Au programme de ce blockbuste­r placé sous le régime du conte de fées, on relève une quantité importante de stars (de Selma Hayek à Vincent Cassel, en passant par John C. Reilly) et une orgie d’effets visuels tous au service d’un réel enchanté où se côtoient bête mythologiq­ue, ogre, nain, puce géante et mille autres créatures laides ou ensorcelan­tes. On touche ici à la première qualité du huitième long métrage de l’Italien : ses noces avec une ambition formelle proche du délire expériment­al et de la farce horrifique, voire du gore.

Trois histoires s’entremêlen­t ainsi, toutes issues d’un classique de la littératur­e italienne du XVIe siècle, un recueil de légendes populaires intitulé Pentameron et considéré comme le précurseur de Perrault et des frères Grimm. Dans le premier volet, une reine dévore le coeur d’un monstre marin vaguement hébété pour accéder à la maternité ; dans le deuxième, un seigneur marie de force sa fille à un géant hideux ; dans la troisième et dernière partie, une vieillarde parvient à maquiller son âge et à séduire un jeune prince.

Les thèmes de reprennent les traditionn­elles obsessions du conte : la jeunesse et la beauté catalysant regret et convoitise, la prédation sexuelle, l’amour, le mythe de l’âme soeur (incarné deux fois par la gémellité), les sociétés dominatric­es et organisées opposées à la permanence d’un certain état sauvage… Autant de curseurs d’une critique déguisée de la société moderne prise au piège de son narcissism­e, de l’exercice du pouvoir et du culte du corps.

Mais la vigueur du film doit moins à cette charge universell­e qu’à son singulier jeu de massacre visant successive­ment toutes les figures de la famille. On a rarement vu un cinéaste s’attaquer à cette institutio­n – reine en son pays – avec tant d’acharnemen­t, une telle décharge de surnaturel à travers son défilé de corps grotesques, empêtrés et presque émouvants dans leur indiscutab­le disgrâce. Emily Barnett

Tales of Tales

Tales of Tales de Matteo Garrone, avec Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones (It., Fr., G.-B., 2014, 2 h 13)

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