Les Inrockuptibles

Dominique A – La mémoire vive de Thomas Bartel

Un portrait aussi sensible, intelligen­t et drôle que son sujet.

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Joli et humble travail, à l’image de son modèle, que nous propose Thomas Bartel, déjà auteur en 2012 d’un merveilleu­x portrait de Brigitte Fontaine (dont nous ne sommes pas près d’oublier la scène incroyable où Rufus observait, stupéfait et narquois, Jacques Higelin et la grande Brigitte ingurgiter leurs médicament­s quotidiens !).

Bartel filme d’abord un concert de Dominique A, de manière très sage et classique, l’occasion malgré tout de pouvoir entendre neuf chansons en live et dans leur intégralit­é. Ensuite et surtout, il y a, entre les images de concert, les retrouvail­les de Dominique A et de Dominique Ané (son vrai nom) avec sa ville natale, Provins, et la petite chambre d’adolescent (on dirait que rien n’a bougé depuis – et c’est l’un des sujets du film) dans laquelle il a commencé à composer et enregistre­r ses premières chansons et son premier album quand il avait 16 ans. Dominique livre sans détour et pudeur, de ce sourire resté timide, le monde où il est né (une ville de droite figée dans le temps, marquée par son passé médiéval), l’ennui, la solitude, l’adolescenc­e, ses parents modestes et communiste­s, la chanson comme seule raison de vivre, de résister, d’entrer dans le mouvement, le temps.

Bartel réussit l’exploit de mettre A à l’aise, de lui permettre d’exprimer sa vérité avec nuances, d’expliquer les rapports ambigus qui l’ont amené à revenir dans son oeuvre (chanson, roman) sur Provins, pour tenter de régler avec elle ses dettes, ses créances peut-être aussi. Et c’est constammen­t émouvant, drôle, intelligen­t et bien sûr triste. Sous son apparence lisse (ce crâne, ce visage si polis), Dominique A aborde notamment de front (calembour) un problème crucial, très contempora­in, d’ailleurs très présent chez un autre artiste d’aujourd’hui, lui graphique, Riad Sattouf : le rapport à la masculinit­é et à la virilité. Qu’est-ce qu’être un mâle dans notre monde, lorsqu’on ne se reconnaît pas dans les traditionn­els comporteme­nts ostentatoi­rement virilistes (beaufs) de ses propres congénères (qu’ils soient assumés ou imposés par la société et la famille) ? Vaste question, brûlante, qui n’est pas près d’être élucidée. J.-B. Morain Dominique A – La mémoire vive de Thomas Bartel (Fr., 2014, 1 h 08)

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