Les Inrockuptibles

Le perdant magnifique

Retour sur la légende dorée de Raymond Poulidor, l’éternel second du Tour de France.

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Il y a deux sortes de documentai­res : les films en boîte et les films frais (ou parfois un mélange des deux). C’est-à-dire les oeuvres constituée­s d’archives et celles qui ont nécessité le tournage de nouvelles images.

Patrick Jeudy est plutôt adepte de la première solution. Collectant une foule de documents télé, il narre la saga de Raymond Poulidor, qui reste, avec Jacques Anquetil, Bernard Hinault et Louison Bobet, l’un des cyclistes français les plus populaires. Mais Poulidor a une particular­ité : il n’a jamais remporté le Tour de France, auquel il a participé quatorze fois. Ceci en se maintenant constammen­t dans le peloton de tête, et en manquant la victoire à cinquante secondes près en 1964, ravie par Jacques Anquetil. “Eternel second” : cette formule lapidaire colle à la peau de Raymond Poulidor, qui durant toute sa (longue) carrière a couru après le maillot jaune de vainqueur.

Acte manqué, malchance, complot ? Mystère. Cela ne doit tout de même pas faire oublier que “Poupou” a remporté de nombreuses courses, dont Paris-Nice, Milan-San Remo et le tour d’Espagne. Certes, en France, le sacro-saint Tour reste l’épreuve cycliste suprême. L’échec relatif de l’éternel rival d’Anquetil, allié à sa pugnacité, explique peut-être pourquoi les Français se prirent d’une réelle passion pour lui. Raymond Poulidor

(à droite) et Jacques Anquetil au coude à coude, Tour de France 1964

Raymond est issu du peuple, c’est un fils de paysan limousin. Il est humain, il a des faiblesses. L’identifica­tion est immédiate. En revanche, on a oublié bien des vainqueurs du Tour, comme par exemple Miguel Indurain, machine à vaincre métronomiq­ue. Poulidor démontre que l’important n’est pas de gagner, ni même de participer, mais d’être vrai. Cela, il l’a été presque jusqu’à la caricature, qu’il soit filmé dans la ferme de ses parents – qui n’eut pas déparé le documentai­re Profils paysans de Depardon – ou devant son pavillon anonyme avec femme et enfants.

Le commentair­e, dit par la voix désuète de François Morel (jamais complèteme­nt débarrassé de son étiquette Deschiens), souligne sur un mode presque franchouil­lard cette dimension ordinaire. Mais n’est-ce pas également une forme d’angélisme, une manière de surjouer l’honnêteté et la franchise du personnage, dont on rappelle à plusieurs reprises qu’il ne s’est jamais dopé, et que son coach Antonin Magne ne lui donnait que du bicarbonat­e ? Peu importe, on préférera toujours un perdant magnifique, un loser cool et néanmoins tenace, à un bolide machiavéli­que. N’est-ce pas Lance Armstrong ? Vincent Ostria Poulidor premier documentai­re de Patrick Jeudy. Lundi 6, 20 h 50, France 3

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