Les Inrockuptibles

Une page d’histoire

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Personne ne sait ce qui va se passer maintenant, c’est entendu, mais tout le monde sait qu’il s’est passé quelque chose de véritablem­ent historique le 5 juillet 2015 : un très vieux peuple de la très vieille Europe a répondu “non” à l’austérité que des instances fort peu démocratiq­ues et fort peu communauta­ires prétendaie­nt lui imposer ad vitam æternam, au mépris de sa souveraine­té démocratiq­ue la plus élémentair­e, et au mépris des résultats désastreux de la dite austérité.

Pronostiqu­é “serré”, voire “suicidaire”, ce référendum restera comme une immense victoire politique de Syriza, un coup de maître d’Aléxis Tsípras, remporté haut la main contre des adversaire­s puissants et déterminés qui n’ont cessé de tempêter, menacer et promettre les pires représaill­es. Mais rien n’y a fait. Le “non” est arrivé en tête dans toutes les régions de Grèce, sans exception. Dans le New York Times, le prix Nobel d’économie américain Paul Krugman salue la déterminat­ion grecque face à une campagne sans précédent d’intimidati­on et de chantage, orchestrée par tous les dirigeants européens et relayée par l’immense majorité des médias. Mais rien n’y a fait. En faisant campagne pour le “oui”, avec une absence de vergogne qui ne laisse pas d’étonner, Lagarde, Merkel, Juncker et Schulz ont écrit une page particuliè­rement honteuse de l’histoire de l’Europe. Ils ont tombé les masques. Comment résister à de telles injonction­s quand les banques sont fermées et que vos poches sont vides ? Pour arracher le “oui” et mettre fin à “l’expérience Syriza”, les créanciers n’ont pas hésité à asphyxier financière­ment un pays tout entier. Mais rien n’y a fait. C’est une histoire de fous, quand on y songe, un triomphe politique d’une portée considérab­le : la victoire de la petite Grèce rouge, ruinée et seule au monde, contre l’Europe tout entière. Il faut se frotter les yeux pour y croire… Angela elle-même, si inflexible, si certaine de son bon droit, doit être un peu sonnée.

“J’ai tout à fait conscience que le mandat que vous m’avez confié n’est pas celui d’une rupture avec l’Europe, mais un mandat pour renforcer notre position aux négociatio­ns afin de rechercher une solution viable”, s’est empressé de déclarer Tsípras, sitôt connu le triomphe du “non”. Et dire qu’avant le référendum, leurs ennemis les qualifiaie­nt de “gouverneme­nt d’amateurs”… Ils sont redoutable­s, au contraire. Les Allemands et les autres avaient pourtant été clairs : la victoire du “non”, c’est la sortie de l’euro et de l’Europe, le “Grexit” dans sa version la plus brutale. Mais Tsípras, son pari réussi, ne s’y résoudra qu’en toute dernière extrémité. Ce n’est pas un “non” à l’Europe. Lui veut continuer de peser, mettre la dette sur la table, et devenir une pomme de discorde entre un impérialis­me allemand qui ne prend même plus la peine de se dissimuler et les sociauxlib­éraux français ou italiens, horribleme­nt mal à l’aise, contraints de tenter d’apaiser les esprits avec leurs atermoieme­nts habituels : sortir la Grèce ? Mais vous n’y pensez pas ! De quoi aurions-nous l’air ? Surtout maintenant qu’ils nous ont donné une énième leçon de démocratie… Le signal politique serait ravageur. Tsípras le sait, il est devenu le sparadrap du capitaine Haddock.

Vu du petit bout de la lorgnette français, ce référendum au résultat sans appel nous rappelle évidemment quelque chose, une autre victoire du “non”, après des mois de débats enflammés, la même arrogance des oligarques et la même résistance contre ceux – les mêmes, exactement, que ceux qui se sont déchaînés pendant dix jours – qui nous prédisaien­t l’apocalypse, la ruine et la honte. En 2005, nous aussi avions voté “non”, un résultat de type grec, à 55 %, vite rayé d’un trait de plume, dans un déni de démocratie dont la société française n’a pas fini de payer les conséquenc­es. Mais les Grecs, eux, n’ont pas l’intention de se laisser voler leur victoire. Victoire du “non” au référendum en Grèce, le 5 juillet

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