Les Inrockuptibles

Le grand marché des réfugiés

Conditions d’accueil déplorable­s, détourneme­nts de fonds, exploitati­on : en Italie, la misère humaine rapporte gros.

- Par des mafieux

Khan, 28 ans, est un rescapé. Voilà deux ans qu’il a effectué la périlleuse traversée en bateau jusqu’aux côtes italiennes, sans compter la route depuis son Afghanista­n natal, à travers l’Iran et la Turquie. Il s’en est tiré sans une égratignur­e. La cicatrice qui abîme sa paume, et dans laquelle on aperçoit encore un bout de métal, il la doit à l’effondreme­nt du lit superposé qu’il occupe depuis dix mois, dans un centre d’accueil de la banlieue de Rome.

“Ça devait arriver”, soupire-t-il. Deux semaines durant, il a essayé de prévenir le staff que ses compagnons de chambrée et lui étaient trop lourds pour ces lits à trois étages. “Ils ont répondu qu’il n’y avait pas d’argent pour en acheter d’autres…” Une nuit, donc, tout le monde s’est retrouvé par terre. Khan avait la main en sang mais le médecin ne devait venir que trois jours plus tard – autre problème de budget. Un rapide bandage, un coup de balai et l’affaire était pliée.

Depuis, ce sympathiqu­e gaillard joue au lit musical avec son voisin béninois : l’un dort pendant que l’autre s’ennuie dans le couloir. Sous les toits de ce vieux bâtiment défraîchi, à peine aux normes de sécurité et dont la peinture écaillée est maculée de grandes traces noires, les migrants s’entassent à sept ou huit par chambre.

Près du métro Rebibbia, un autre centre abrite d’autres réfugiés. Quand on sort de la station, une odeur d’urine et d’excréments prend à la gorge et ne vous lâche pas, tout le long du chemin qu’il faut emprunter pour arriver au camp. Là, tout est à l’avenant. La minuscule cour qui entoure le dortoir est en travaux : mieux vaut ne pas tomber dans le trou béant qui laisse entrevoir le tout-à-l’égout. Des poubelles traînent sous la chaleur écrasante, la porte en fer complèteme­nt rouillée posée dans un coin est un appel au tétanos. “De toute façon, on va fermer, prévient Monica1, la responsabl­e du camp. Et je suis la première à vouloir partir.”

Pour cette travailleu­se sociale épuisée et à fleur de peau, la tâche est surhumaine. “On a une capacité d’accueil de 80 personnes”, précise-t-elle.

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