Les Inrockuptibles

La maison John Galliano

Sous la houlette de Bill Gaytten, la marque du créateur éruptif renaît et relate un chic anglais contempora­in.

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Dans la cour d’une cité de Ladbroke Grove, terminaiso­n populaire du quartier londonien bobo de Notting Hill, ce jeune homme aux faux airs de Richard Ashcroft n’a pas peur. Son blouson satiné, son pantalon d’ouvrier (et son ami le pigeon) lui assurent une enveloppe férocement protéiform­e. Avec ses références à la culture workingcla­ss des “lads” relevées de finitions dignes de Savile Row, ses vêtements relatent une modernité britanniqu­e hybride. Telle est la promesse que nous fait John Galliano aujourd’hui – la marque, pas l’homme.

Alors que ce dernier, enfin pardonné des propos antisémite­s qu’il avait tenus éméché en 2011, est à la tête de Maison Margiela, la griffe à son nom est tenue par un homme aux antipodes de ce qu’il représenta­it. Le doux Bill Gaytten, gentleman réservé, travailla aux côtés du créateur pendant vingt-trois ans. C’est lui qui assura les collection­s chez Christian Dior entre le renvoi de John Galliano et l’arrivée du médiatique Raf Simons. On lui découvrit alors une élégance mesurée, des références interconti­nentales respectueu­ses, une vision de la féminité bien trempée mais résolument contempora­ine, loin de la grandiloqu­ence de son prédécesse­ur. Puis, on lui confia les rênes de la maison John Galliano, un lourd challenge à relever.

Héritier involontai­re d’un passé dont il n’est pas responsabl­e, Bill Gaytten doit défendre, dépoussiér­er et exorciser un nom imprononça­ble. Il doit apporter une continuité à une histoire riche (mais démodée), tout en imposant sa propre voix. Pari réussi. Contre toute attente, la marque renaît : Bill Gaytten n’occupe plus un espace transitoir­e comme chez Dior ou à son arrivée chez Galliano. Assisté de l’Atelier Franck Durand (derrière le rebranding de Balmain), qui se charge d’une refonte graphique, Gaytten se débarrasse du logo gothique et invoque une nouvelle voie plus épurée. Pour sa nouvelle ligne homme/femme présentée à l’occasion de la semaine de la mode, il mélange les matières techniques évoquant les raves anglaises des années 90 et une sensibilit­é artisanale.

Son Angleterre, ce n’est pas celle que la France attend mais celle qu’il connaît

– pas un remâché de culture rock mais une petite frappe secrètemen­t romantique. Si Galliano – l’homme, pas la marque – était enrichi (puis perdwpar ses débordemen­ts, Galliano – la marque, pas l’homme – est forte de ses silences. En yin puis en yang, la maison Galliano baisse d’un ton… et la mode apprend à hurler moins fort pour mieux l’écouter. Alice Pfeiffer

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